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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/952

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progressistes : il lui appartenait donc de rédiger le programme du parti à la veille des élections, et c’est ce qu’il est allé faire à Roubaix, devant un auditoire immense, qui l’a écouté et applaudi avec enthousiasme. M. Motte présidait la réunion. La salle de l’Hippodrome, où elle a eu lieu, était comble : elle contient près de cinq mille personnes. Les socialistes, qui avaient en vain essayé d’y pénétrer, manifestaient au dehors en chantant la Carmagnole et l’Internationale. A la sortie, ils ont failli faire un mauvais parti à M. Méline, tant les passions sont effervescentes dans toute cette région du Nord, aujourd’hui livrée à la lutte des classes ! Mais oublions pour le moment le cadre qui entourait les manifestations de Roubaix : le discours de M. Ribot est ce qui nous y intéresse le plus. Nous y avons trouvé, exprimées dans un beau langage, toutes les idées qui nous sont chères. M. Ribot a porté sur les quatre années que nous venons de traverser un jugement qui n’est pas moins rigoureux que le nôtre dans son ensemble. Mais le passé est le passé ; c’est surtout vers l’avenir qu’il faut se tourner. Ces lois, bonnes ou mauvaises, que la Chambre a votées comment seront-elles appliquées ?

La question se pose avec une acuité particulière en ce qui concerne la loi de séparation. M. Ribot a contribué plus que personne à l’amender dans un sens libéral ; néanmoins il ne l’a pas votée, estimant que la réforme n’était pas mûre dans les esprits et encore moins dans nos mœurs, et que les difficultés d’exécution, qu’il prévoyait très grandes, ne pourraient être surmontées qu’avec une bonne volonté réciproque sur laquelle il comptait très peu. On connaît ses efforts pour amener les catholiques, sinon à accepter la loi dans leur conscience que nul ne peut violer, au moins à s’en accommoder dans la pratique. Il a adressé dans ce sens des objurgations éloquentes à la droite de la Chambre : elle les a accueillies en silence et n’a manifesté une opinion qu’en refusant de voler l’affichage de son discours. Il a continué à Roubaix sa courageuse campagne. Sa crainte, comme la nôtre, est de voir éclater dans notre pays la pire des guerres civiles, la guerre religieuse, et cette guerre lui fait horreur comme à nous. Il ne croit pas, il ne veut pas croire que le Pape, ni les évêques, prennent la responsabilité de la déchaîner ; mais assurément cela dépend d’eux, et ce n’est pas sans une ironie mêlée d’inquiétude qu’il a constaté, comme premier effet de la loi de séparation, le pouvoir nouveau dévolu au Saint-Père, arbitre souverain de la guerre ou de la paix dans notre pays. Souhaitons que les sages conseils de M. Ribot soient écoutés. S’ils ne le sont pas,