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raconter après lui comment la patricienne Mélanie put enfin se faire pauvresse grâce à l’improvisation juridique de la « reine Serena. »


IV

Les historiens connaissent la figure de Serena ; souvent même ils l’ont discutée. Claudien l’a chantée dans un poème, où il la gratifia, aussi, du titre de reine. Elle était, par le sang, nièce de Théodose ; par l’adoption, elle devint sa fille. Femme de Stilicon, elle maria ses deux filles, l’une après l’autre, au fils de Théodose, l’empereur Honorius, dont elle fut ainsi, tout à la fois, la cousine, la sœur adoptive, et à deux reprises la belle-mère. Stilicon et Serena, plusieurs années durant, furent les vrais maîtres de l’empire d’Occident ; et lorsque Honorius fit séjour à Rome en 404, la toute-puissance de Serena faisait courber les fronts. Sa curiosité fut piquée par la rumeur publique, qui glorifiait ou bafouait les singuliers changemens survenus dans l’existence de Mélanie. À plusieurs reprises, elle expédia des évêques ou des patriciennes auprès de la sainte pour l’inviter à venir au palais impérial ; à plusieurs reprises, Mélanie s’excusa : rentrer en contact avec les puissans, n’était-ce pas reculer dans les voies du renoncement ? Mais un jour d’été de l’an 404, l’idée lui vint que les puissans eux-mêmes lui pourraient au contraire aplanir ces voies. Accompagnée de son mari, de quelques évêques, et de son futur biographe Gerontius, elle s’en fut au Palatin. Lorsqu’on allait faire visite aux personnages de sang impérial, l’usage était d’apporter quelques cadeaux : le petit cortège qui ce jour-là gravit la colline des Césars était chargé d’étoffes précieuses, de vases, de parures. Les plus jolis présens étaient destinés à Serena, les autres aux courtisans, aux eunuques, à la haute domesticité du palais. Mélanie était sévèrement voilée, couverte d’une tunique sombre et grossière. « Je ne découvrirai pas une tête que j’ai couverte pour le nom du Christ, disait-elle, et je ne changerai pas le vêtement que pour le nom du Christ j’ai revêtu. » Son humilité fut à l’honneur : l’héritière des Valerii vit Serena venir à sa rencontre ; et la reine, s’asseyant sur son trône d’or, installant Mélanie à ses côtés, convoqua la foule bourdonnante des courtisans. « Venez, disait-elle, et voyez : cette femme qui, quatre mois plus tôt, resplendissait dans la gloire du siècle, la voici qui, à cause du Christ, vieillit dans la sagesse, et