Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Christs. La reine écoutait, et s’offrait à punir ces cupides en faisant confisquer leurs biens. Mais Mélanie ne voulait point, par représailles, la pauvreté des autres ; elle voulait, par amour, sa propre pauvreté. Tout de suite elle écarta de la tête de ses proches, c’est-à-dire de ses ennemis, le péril dont les menaçait Serena : « Non, lui dit-elle, il est écrit de ne point rendre mal pour mal et préjudice pour préjudice. C’est dans le Seigneur que nous avons confiance, pour que, grâce à l’appui de votre pieuse souveraineté, notre pauvreté soit féconde. » La question qui se posait devant Serena intéressait, en définitive, l’économie générale de la société romaine. On considérait que le patrimoine d’une famille sénatoriale devait entretenir l’éclat de cette famille et payer les distractions que réclamait une plèbe blasée. Allait-on tolérer que tous les biens d’un couple fortuné fussent par une initiative étrange, et pour un motif religieux, détournés de cette affectation normale et traditionnelle ? Serena consentit plus et mieux qu’une tolérance ; elle pria l’empereur Honorius d’envoyer des instructions à tous les hauts fonctionnaires des provinces, afin que, sous leur responsabilité, ils vendissent les domaines de Pinianus et de Mélanie et leur en fissent parvenir le prix. Séance tenante, les ordres impériaux furent rédigés, expédiés. « Nous étions dans la stupeur, » écrit longtemps après le biographe Gerontius ; et cette stupeur se comprend.

Pour la quatrième fois seulement depuis Constantin, un empereur chrétien faisait visite à Rome. Remise des alarmes essoufflées qu’avait provoquées la proximité d’Alaric, la Ville Éternelle avait repris haleine pour fêter l’impérial visiteur et pour célébrer, à ses côtés, le vainqueur de Pollentia, Stilicon, mari de Serena. Il semble que, d’instinct, Serena aimât afficher par des actes d’éclat les droits nouveaux de la religion nouvelle ; il semble qu’il ne lui déplût point de faire sentir, d’autorité, qu’il y avait quelque chose de changé dans la vie de l’Empire depuis que le Christ était admis à y régner. On l’avait vue, dans sa jeunesse, forte et fière de son ascendant sur Théodose, entrer en conquérante chez les Vestales, dépouiller la déesse d’un collier de perles, et troubler ainsi, dans les âmes, les antiques superstitions patriotiques qui s’attachaient au feu sacré. Et voici que, pour complaire à Mélanie, Serena bravait d’autres susceptibilités ; elle permettait au Christ de passer outre aux idées mondaines de la classe sénatoriale ; elle levait, au nom du Christ, cette sorte d’hypothèque dont étaient frappés, par l’usage