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suivant les régions, les cultures, les mœurs des populations. Ceux-ci provoquent les commandes à des intervalles réguliers, concluent ensuite des marchés de gré à gré avec des fournisseurs connus ; ou bien ils organisent une adjudication au rabais sur soumissions cachetées, avec des garanties sérieuses ; ensuite ils prennent livraison des marchandises, vérifient les dosages, opèrent la distribution entre les membres syndiqués. Ceux-là préfèrent le système des prix de vente applicables aux divers produits ; d’aucuns, pour tenir compte des besoins des retardataires, se réservent le droit d’augmenter, dans certaines proportions, les fournitures qui font l’objet du marché ; d’autres recourent au procédé des achats fermes, achètent en prévision des besoins, et conservent dans leurs dépôts les marchandises qu’ils mettent à la disposition de leurs membres. Quelques grands syndicats ont créé des dépôts dans les petites villes pour assurer aux adhérens l’avantage de l’achat en gros presque sans se déplacer : ainsi le Syndicat des agriculteurs de la Sarthe ne comptait pas moins de 68 dépôts en 1900 ; celui de la Vienne, 70.

Dans les achats de prévision, le rôle du syndicat mandataire a pu être comparé à celui d’une simple boîte aux lettres interposée entre l’acheteur et le vendeur. Les grands syndicats fabriquent eux-mêmes, dans leurs magasins, les engrais composés que réclament les adhérens.

En général, les syndicats n’acceptent pas la responsabilité des engagemens pris et des commandes : aussi le fournisseur doit-il faire traite sur chaque acheteur, mais les factures sont vérifiées et visées par le bureau du syndicat. Et voici un des prodiges de l’institution : presque jamais la traite ne revient protestée, faute de paiement à l’échéance ; d’ailleurs un membre qui ne ferait pas honneur à ses engagemens serait rayé de la liste du syndicat. Le paysan français a acquis les habitudes commerciales, cette probité de l’exactitude précise qui semblait répugner si fort à cette race rurale aux yeux de laquelle le temps n’a pas une valeur rigide, car elle ne le mesure pas avec cette sorte d’angoisse qui étreint les habitans des villes, elle ne compte pas à la minute, à l’heure, au jour ; elle dit volontiers : la semaine prochaine, plus tard, sent vaguement que les années conspirent avec elle. Et l’on comprend que son génie, fait de patience, de lente persévérance, d’esprit traditionnel, plus près des lois éternelles de la nature, accepte