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pas, et que ses défenseurs ne la laisseront ni oublier. ni sacrifier. Du moins n’ergotera-t-on plus comme faisaient certains casuistes empressés à interpréter les textes dans leur sens le plus étroit. « La loi, disaient-ils, exige une profession ou un métier ; or, être propriétaire de terres qu’on loue à prix d’argent, ce n’est ni une profession ni un métier. » Le gouvernement encourageait les professeurs d’agriculture, qui n’ont pas un sou vaillant dans nos départemens, à faire partie des syndicats pour les guider, sans doute aussi pour y contrebalancer l’influence de personnes moins dociles à ses désirs. Et voilà un propriétaire qui, soit par lui-même, soit par ses ancêtres, a rassemblé des terres, formé un corps d’exploitation : ii livre cet instrument de travail à un fermier, et vous refuseriez de le ranger dans la classe des producteurs agricoles ! Mais ne fait-il pas acte de propriétaire, quand il surveille l’exécution de son bail, contribue aux marnages, aux drainages, à la conversion des terres en prairies, embellit son jardin ? On raconte qu’un candidat interrogé en 1848 sur sa profession, s’avisa de répondre : ouvrier notaire. Un autre se disait ouvrier de la pensée. Le mot avait un sens profond : ne sommes-nous pas, tous ou presque tous, les ouvriers de quelque œuvre, et, après la trop longue déchéance du travail manuel, ne serait-ce pas une singulière revanche de lui conférer des privilèges, une sorte d’aristocratie ? Le propriétaire d’aujourd’hui, c’est l’ouvrier d’hier qui a peiné, qui a épargné : l’ouvrier, c’est le propriétaire de demain, s’il fait de même.

En entrant dans les syndicats, les adhérens laissent à la porte leurs opinions politiques, comme ces nobles d’autrefois qui, lorsqu’ils voulaient faire du commerce à l’étranger, consignaient leurs titres au greffe du parlement, et ne les reprenaient qu’au retour. On serait fort mal venu sans doute à chercher noise aux membres des syndicats ouvriers au sujet de leurs théories avancées, et, sans aboutir à une espèce d’inquisition, comment soumettre à une sorte d’examen de conscience ceux qui invoquent la liberté d’association ? Il semble que ces vérités élémentaires ne devraient pas avoir besoin d’être répétées, mais l’esprit de parti est un Procuste qui couche fort mal la justice, et la politique d’exception, toujours habile à trouver des prétextes qui autorisent la licence pour ses amis et l’arbitraire contre ses ennemis, fait songer à cette réponse d’un ministre, devenu autoritaire par la grâce subite de son portefeuille, auquel on demandait compte de ses anciennes doctrines :