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métaphysique de Spinoza. C’est aussi bien ce que l’on a quelquefois essayé de prétendre. Même on a écrit sur ce sujet des livres entiers, et ce sont ceux qui s’intitulent : Les conflits de la Science et de la Religion.

Mais il n’y point de conflits, ni d’opposition ; il y a seulement des vérités d’ordre différent, que notre courte logique humaine, jusqu’ici, n’a pas pu, je ne dis pas « concilier, » mais réduire en quelque manière sous l’unité d’un même principe. Car c’est ici le point capital, — et celui que l’on oublie cependant toujours, — qu’un chrétien est un homme pour qui les « vérités de sa religion » ont la même valeur, objective et absolue, que, pour un savant, chimiste ou physicien, les « principes de sa science. » Il se tient pour aussi sûr, comme chrétien, de la « divinité de Jésus-Christ » que peut l’être un savant, ou qu’il peut l’être lui-même comme savant, de la « conservation de l’énergie. » Comme d’ailleurs ces vérités, de même que les vérités scientifiques, ne sont pas des vérités étroites ni limitées, pour ainsi dire, à la première expression que la pauvreté de la langue humaine en a trouvée ; comme au contraire elles sont riches, fécondes, et pleines de conséquences qui ne s’en dégagent qu’avec le temps ; et comme enfin, sous ces variations apparentes, il importe à leur caractère même de vérités, qu’elles demeurent identiques en leur fond, le chrétien a besoin d’une autorité dont la fonction propre soit en quelque manière d’assurer cette identité. C’est la raison dernière de l’infaillibilité ! Ou plutôt, et pour mieux dire, c’en est la définition même. L’Église est infaillible dans la mesure où la doctrine est immuable, parce que la doctrine est immuable, pour qu’elle ne cesse pas de l’être ; et cependant, et en même temps, pour qu’en l’étant, elle ne cesse pas d’être ouverte au progrès.

Car ce qu’il faut dire, et Joseph de Maistre l’a encore bien vu, c’est que l’infaillibilité pontificale est si loin de s’opposer au progrès de la vérité dans l’Eglise, qu’au contraire c’est elle qui le conditionne et qui l’assure. Dans les limites où le dogme peut « évoluer, » — et qu’il est d’ailleurs impossible de définir en termes généraux, parce que cette évolution dépend toujours des circonstances qui la déterminent, et que ces circonstances n’existent pas a priori, — c’est l’infaillibilité qui seule peut s’opposer à ce que le changement devienne lui-même une « altération » ou une « corruption. » Nous n’oserions jamais essayer seulement de substituer une interprétation nouvelle à l’ancienne, si nous ne comptions toujours, qu’en cas d’erreur et de témérité, nous avons un juge dont l’arrêt n’est susceptible ni de discussion, ni d’appel. Mais quand, sous la seule condition de reconnaître l’autorité de ce juge, toute liberté nous est