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Et c’est le moment de nous demander ce que Pierre Leroux entendait au juste par ce mot, — la Foi. Il n’entendait point par ce mot je ne sais quelle aveugle soumission à un fait brut, inassimilable en quelque sorte à l’âme du croyant, ou extérieur à elle, inexorablement. La Tradition, selon Leroux, n’est nullement ce poids mort que l’humanité serait condamnée à traîner après elle, esclave inconsciente d’un maître à jamais ignoré. Mais « il est évident, par exemple, que les idées de mobilité perpétuelle qui sont à la base de plusieurs systèmes émis de nos jours (1840) sont radicalement absurdes... Vivre ce n’est pas seulement changer, c’est continuer. Notre vie participe à la fois du changement et du contraire du changement, ou de la persistance... Changer en persistant ou se continuer en changeant, voilà ce qui constitue réellement la vie normale de l’homme, et par conséquent le progrès. » Le passé entre donc, à titre essentiel, dans les plus hardies combinaisons de faits ou de doctrines auxquelles les hommes se puissent livrer. Et il en est ainsi nécessairement : mais on peut ne tenir, de ce passé, qu’un compte insuffisant, et, dans ce cas, l’on marche à l’aventure ; on peut aussi professer, à l’égard du passé tout entier, un respect superstitieux, et, dans ce cas, l’on se condamne à la mort.

La vie se tient toujours entre ces deux écueils ; dans le passé, elle discerne l’élément solide, le principe immortel qui se retrouve identique au commencement, au milieu, à la fin de l’histoire, c’est-à-dire, en un mot, la tradition. Mais ce principe, cette tradition n’a pas son siège hors de nous, elle est, à vrai dire, en nous, elle est nous. Non certes que nous n’en puissions démêler le sens ou reconnaître les progrès dans les écrits et autres monumens qui en témoignent. Mais ce témoignage tout extérieur ne saurait, par lui-même, entraîner notre assentiment. Et, en effet, « la vie étant toujours actuelle, il en résulte que le consentement source de la certitude est le consentement actuel, et non le consentement passé de l’Humanité. » C’est bien ainsi, du reste, que l’Église a toujours compris l’autorité de la Tradition, « Le principe