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« avec toute son âme. » Vauvenargues, ce « Pascal du XVIIIe siècle, » avait, de son côté, émis cet aphorisme, que « les grandes pensées viennent du cœur. » C’est à bien comprendre ces textes sommaires, c’est à en étendre et à en préciser le sens, que s’emploie résolument Pierre Leroux. Et néanmoins quelque louable et intéressante que fût sa tentative, on n’oserait affirmer qu’elle ait réellement abouti ; mais elle n’a pas, non plus, échoué ; et dans l’espèce de demi-brouillard où la pensée de notre auteur s’est arrêtée, on distingue, vacillante sans doute et comme voilée, une lumière.

Leroux constate, tout d’abord, une lacune considérable dans nos classiques « traités de logique, » et il la montre. « Il doit y avoir, dit-il, un nouvel instrument logique, un nouvel organum, comme parlent Aristote et Bacon… Il ne consiste pas à opérer mécaniquement, pour ainsi dire, sur les idées ; mais il consiste à recueillir la vie cachée sous les idées… Cet art sera nouveau sans l’être ; il sera particulier à notre époque, bien que toujours l’humanité l’ait connu et pratiqué… Ils sont donc bien aveugles les hommes qui nous disent aujourd’hui qu’il ne s’agit plus de cœur, d’amour, de charité, de sentiment, mais seulement d’intelligence… Ils sont aveugles, dis-je, et ne se montrent pas eux-mêmes les plus intelligens des hommes ; car ce machiavélisme philosophique, cette apologie de la tête aux dépens du cœur et des entrailles, qu’ils nous prêchent aujourd’hui sans aucune pudeur, est tout simplement une absurdité. Est-ce que sous la pensée il n’y a pas toujours un sentiment bon ou mauvais qui meut la pensée ? Est-ce que le sentiment n’est pas la cause de la pensée ? Est-ce que la connaissance n’est pas la forme du sentiment ?… La vérité est pressentie par le sentiment, en attendant qu’elle entre en nous comme connaissance, et règne sur nous à ce titre… Le sentiment et la pensée sont donc harmoniquement liés et pour ainsi dire identiques ; car l’un est le germe de l’autre. Tant vaut le sentiment, tant vaut la pensée. Les grandes pensées viennent du cœur. »

Insondable en sa profondeur, la vie, — cœur ou sentiment, — s’épand sans cesse, prend et quitte successivement les formes les plus variées, se traduit successivement dans des dogmes toujours provisoires, qui ne l’enveloppent ni ne l’épuisent, tantôt calme dans sa marche en avant, et tantôt secouée d’un frisson magnifique, possédant en elle-même, ou recevant, on ne sait, le moyen de cette