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malheureux sans vous nuire à vous-même. Si vous me faites esclave, vous voilà despote. C’est un malheur d’être esclave, mais c’est un malheur d’être despote… »

Ainsi le mal, au fond, n’existe pas, ou il va disparaître. Il n’y a donc pas lieu de distinguer, comme on l’a fait, deux tendances dans la nature humaine : l’égoïsme et l’altruisme. L’altruisme, au fond, c’est l’égoïsme, et vice versa. « La charité, dans son essence, n’avait pas, jusqu’à ce jour (1840), été philosophiquement comprise ; » ceux-là néanmoins en ont soupçonné la nature qui, au XVIIIe siècle, ont produit « la doctrine de l’intérêt bien entendu… Mais quelle sanction avait cette doctrine ? Comment le bien des autres fait-il mon bien ? ou comment mon bien est-il lié à celui des autres ? La sanction qui manquait aux moralistes dont nous parlons, nous venons de la donner… Non seulement nous avons admis l’égoïsme humain, mais nous avons, pour ainsi dire, couronné cet égoïsme. » Si donc des origines au Christ, et de celui-ci à nous, une même aspiration, sans cesse accrue et toujours plus consciente, a travaillé le genre humain, et si les diverses religions qui ont apparu sur la terre ont successivement traduit ou interprété cette aspiration, mais sans en pénétrer la véritable essence, qu’elles noyaient et dissimulaient dans d’inconsistans symboles, nous pouvons nous flatter d’en pouvoir aujourd’hui donner une explication moins chimérique, et d’en pouvoir garantir la solidité comme principe ou fondement d’une religion universelle.

« La religion de l’humanité : » ainsi pourrait-on nommer la religion de l’avenir. Constituer l’humanité : à cela tendaient, plus ou moins consciemment, toutes les religions du passé. Faire du genre humain une seule famille : telle est aussi la fin de la solidarité et de son corollaire, l’égalité. Mais qui ne voit que, s’il en est ainsi, la religion et la société s’impliquent l’une l’autre, que la religion est une sociologie ou une politique, ou que « la politique est le geste de la religion ? » On a souvent remarqué « qu’il est impossible de traiter un peu profondément de la politique sans toucher aux questions religieuses. » Mais pourquoi cela ? Parce que « la société sans la religion est une pure abstraction, une absurde chimère qui n’a jamais existé. La pensée humaine est une, et elle est à la fois sociale et religieuse, c’est-à-dire qu’elle a deux faces qui se correspondent et s’engendrent mutuellement. » Vous ne pouvez « respirer ni agir sans vous poser le problème de la