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L’âme peut-elle être saine dans un corps malade ? Un homme épuisé par la faim peut-il aisément conserver le calme et la netteté de l’intelligence ?… Est-ce que Jésus, quand il guérit quelqu’un dans l’Évangile, ne guérit que son âme ? L’Évangile est plein de miracles qui se rapportent au corps comme à l’âme… S’il est vrai que les Juifs se soient trompés parce qu’ils attendaient un Messie temporel et un roi matériel pour ainsi dire, il n’est pas moins coupable de commettre l’erreur inverse, et de faire de la royauté de Jésus une abstraction spirituelle. Jésus n’a jamais dit, comme de faux traducteurs le lui ont fait dire, que son royaume n’était pas de ce monde. Au contraire, dans toutes ses prophéties, il promet la terre à ses disciples… Et quand à la fin de sa vie, Pilate lui demande : « Est-il vrai que tu sois roi, » il répond : Oui, je suis roi, mais ma royauté n’est pas encore de ce temps-ci : ΝΥΝ δὲ ἡ βασιλεία ἡ ἐμὴ οὐκ ἔστιν εντεῦθεν. » Sa royauté viendra donc, puisqu’il dit qu’elle n’est pas encore venue. Oui, sa royauté viendra, et elle viendra sur la terre, sur cette terre promise par lui aux humbles et aux humiliés. Et quand vous dites qu’il a promis le ciel, vous ne vous trompez pas, puisqu’il a promis le ciel et la terre à la fois aux hommes rentrés dans la loi divine. »

Cette interprétation de la pensée de Jésus est conforme à « la tradition constante du christianisme. » Il nous faut arriver au XIXe siècle, pour rencontrer des chrétiens, et parmi eux des lévites, qui s’écartent de cette interprétation. « On a attaqué le système de Malthus au nom des livres saints, écrit l’un[1] ; mais, tout-puissans en religion, les livres saints n’ont pas, en économie politique, plus d’autorité qu’en physique et en chimie. » « Il y a des riches, il y a des pauvres, assure un autre[2], et l’Évangile nous déclare qu’il y en aura toujours : Pauperes semper hahebitis vobiscum. » Et Leroux de s’exclamer : « Ce prêtre n’entend pas l’Évangile ! » Le prêtre en question avait apparemment négligé, avant de monter en chaire, de consulter les Septante, ou la Vulgate, ou simplement son bréviaire ; c’est ce que Leroux lui fait remarquer, à sa façon : « Mais pourquoi, saint homme que vous êtes, ne vous contentant pas d’interpréter faussement, altérez-vous le texte même ? Jésus dit à ses disciples : Manquez-vous d’occasions

  1. M. Duchâtel, dans Le Globe, numéro du 21 mai 1825.
  2. L’abbé Dupanloup. Voyez L’Époque, n° du 8 mars 1846.