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énorme miroir. Placé de côté, il tend le cou, et paraît s’avancer d’une allure oblique, entre la perruche et le paon, entouré d’un essaim de petits brahmes qui se sont assis sur le plateau. Les bras des fidèles poussent, le char s’ébranle. Alors les fusées s’envolent en sifflant, les flambeaux secouent leur panache de flammes, des soleils, des serpentins, des chandelles romaines montent de toutes parts, jaillissent dans l’air. Des herses se dressent chargées de feux rouges et verts. Puis tout s’embrase dans la pourpre des feux de Bengale qui brûlent sans interruption, et sur ce fond rouge les flammes des torches apparaissent vertes.

Dans une pareille cohue, le plus sage est de précéder la foule. Nous partons en avant pour nous arrêter sous la vérandah d’une maison musulmane où l’on nous donne des places avec la meilleure volonté. Assis sur un banc de maçonnerie, nous ne perdons rien du spectacle. Autour de nous, au-dessus, en face, les maisons sont chargées, jusqu’aux toits, de femmes. Les pagnes et les voiles noirs, violets, verts, ou jaunes, flambés d’orange, diaprés de bleu, couleur d’aurore, couleur de sang, confondent leurs tons, s’unissent par nappes irisées où éclatent çà et là les luisans des bijoux sous la lumière frisante. Puis des pans entiers restent dans la demi-teinte d’une nuit éclairée par la lune, tandis que le bout de la rue n’est plus qu’une immense fournaise où tout, hommes, maisons, arbres, et jusqu’à l’air même, semble flamber sous une pluie de flammèches d’or, cependant que les trois divinités avancent lentement sur le fond teinté de rubis... Et je me suis décidé à rentrer, non sans peine, à m’arracher de la merveilleuse vision. Mais les fêtes ne font que commencer et je n’en manquerai pas une.


Pondichéry... 4 juin 1901.

Suivant cette vieille légende qui n’est pas encore complètement détruite, les fidèles hindous se précipitaient en masses sous les roues du char de Vishnou Djaganata, à Pouri, afin d’y trouver une mort rapide qui leur assurait l’éternelle félicité. Je crois qu’il convient d’attribuer ces prétendus sacrifices volontaires à des accidens de foule. La cohue qui accompagnait jeudi dernier les chars monumentaux de Çiva et de Ganéça à Villenour aurait pu causer de pareils malheurs si ces chars avaient consenti à rouler d’une allure tant soit peu rapide. C’était une fête de jour où les boîtes d’artifices