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surtout le président et son entourage, reçurent ces tragiques nouvelles. Ils avaient cru voir s’établir en France, sur les ruines de l’absolutisme, un gouvernement constitutionnel, respectueux de la liberté, de la légalité, de la tolérance, et déjà les partis, au nom de principes inconciliables, en étaient arrivés à se combattre et à se détruire par la proscription et la mort. Du sol français le torrent révolutionnaire se précipitait au dehors, brisant les frontières, important en tous lieux les idées nouvelles, groupant leurs partisans en une sorte de culte enthousiaste, se heurtant partout à des résistances passionnées qui redoublaient la fureur de l’attaque. Ce n’étaient pas seulement les montagnes et les fleuves que franchissait la révolution, elle traversait l’Océan. Tout en notant que « parmi les principaux habitans des États du Nord, il y en a toujours beaucoup qui n’approuvent ni nos principes d’égalité, ni notre mode constitutionnel, » Ternant constate que « le 14 juillet a été célébré dans les villes les plus marquantes de l’Union « avec autant d’ardeur que le 4 du même mois, jour anniversaire de l’Indépendance américaine. » Il ne se fait pas illusion, d’ailleurs, sur la portée de ces manifestations, persuadé qu’il est que, tant que la paix ne sera pas rompue entre la France et la Grande-Bretagne, « les États-Unis] resteront, somme toute, assez indifférens aux graves événemens dont l’Europe est le théâtre. » Cette indifférence, dont Ternant se montre dès lors très frappé, deviendra l’un des traits caractéristiques de la physionomie politique des États-Unis : leur attention ne s’éveillera, — mais alors avec quelle intense vivacité, — qu’au cas où quelque puissance européenne paraîtra vouloir intervenir dans les affaires du continent américain, par eux de plus en plus considéré comme un domaine réservé à leur action exclusive. Plus marchera le temps, plus s’accentuera cette tendance déjà si nettement prévue et précisée dans ces lignes adressées, le 2 août 1792, par Ternant à Dumouriez, alors ministre des Affaires étrangères :

« Vous aurez appris que la déclaration de guerre de la France contre le roi de Hongrie, était connue ici dès les premiers jours de juin et qu’elle n’y a pas fait une sensation marquée sur les chefs du gouvernement, non plus que sur les personnes qui se mêlent ici d’affaires publiques. Vous n’en serez aucunement surpris, si vous considérez qu’une guerre de terre en Europe ne peut affecter ni l’existence politique, ni les intérêts commerciaux des États-Unis, et qu’elle leur donne, au contraire, la chance d’une plus forte