Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/424

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

habileté, le terrain politique, naguère si funeste à son prédécesseur, il concentre sur les questions commerciales son principal effort, qui, tout d’abord, paraît devoir réussir, la majorité de l’opinion américaine éprouvant une grande impatience « de s’affranchir du joug de la Grande-Bretagne et de son gouvernement insatiable. »

Jamais les partis n’ont été plus ardens, les passions plus fertiles en ressources. « Même s’il se fût agi de faire des changemens au système politique, écrit-il, les débats n’eussent pas été plus violens. » Mais l’appréhension croissante des désastres fatalement inhérens à une guerre contre l’Angleterre en vint vite à prédominer, surtout après qu’on eut appris que, victimes d’une brusque agression, six cents navires américains, chargés de denrées, avaient été, sous prétexte de commerce avec les colonies françaises, saisis par les corsaires anglais.

C’était là pour les négociations engagées par Fauchet un coup très grave, et qui le lui parut davantage encore, quand il sut que Washington venait de se décider à envoyer à Londres, comme plénipotentiaire, John Jay, le même qui, dès la fin de la guerre de l’Indépendance, s’était montré hautement favorable à un rapprochement avec l’Angleterre. Les ennemis de la Révolution, dont le chiffre s’accroissait chaque jour aux États-Unis, où ne cessaient d’arriver de nombreux proscrits, en ressentirent une telle joie qu’à New-York les émigrés français louèrent des canons pour saluer de plusieurs salves le départ de Jay. Fort anxieux, Fauchet fit partir le secrétaire de légation Leblanc, avec mission de renseigner le Comité de salut public sur ces incidens et aussi de demander l’autorisation de faire arrêter deux des commissaires, ses collègues, La Forest et Petry, qu’il accusait à la fois, d’intelligences avec les émigrés et de malversations.

Par contre, du côté de l’Angleterre, Pitt, se sentant maître de la situation, ne se fit pas faute de mettre à très haut prix les bons offices de la Grande-Bretagne et pour rendre, aux yeux de Washington, son concours encore plus indispensable, d’attiser, aux États-Unis, des divisions qui menaçaient d’aboutir à une guerre civile. Recevant une députation de commerçans qui, avec anxiété, venaient lui demander si l’on pouvait compter sur la paix entre l’Angleterre et l’Amérique, le premier ministre anglais répondait « que les deux governments étaient disposés à vivre en paix, mais les principes jacobins avaient fait de tels progrès en