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la tâche du nouvel envoyé en le chargeant de déclarer « qu’il croirait injurieux pour les États-Unis d’avoir à les rassurer sur la solidité d’une créance qui, basée sur un décret de la représentation nationale, aurait pour cautionnement l’honneur du peuple français et la fidélité avec laquelle il remplit ses engagemens. »

Ne se faisait-on pas aussi, à Paris, quelque illusion en s’imaginant que, pour empêcher les États-Unis de se rapprocher de l’Angleterre et les ramener vers la France, il suffisait de leur représenter qu’à la suite des nombreuses victoires, remportées par celle-ci sur les armées de la coalition, ils ne sauraient refuser de l’aider puisqu’ils savaient « ce que la reconnaissance, jointe à la sincère affection, dont elle leur avait déjà donné tant de preuves, pourrait inspirer à la République française pour assurer leur repos et consolider leur indépendance ? »

La mission d’Adet n’eut en rien le caractère qu’impliquaient ces instructions. À peine arrivé, son premier acte est de mettre en doute les protestations d’amitié de Washington envers la France, la voix publique l’ayant instruit « que la France était le jouet de l’astuce du cabinet de Philadelphie. » Tout aussitôt, il lui semble grand temps d’arracher tous les voiles : « Mon devoir, dit-il, me le prescrit, l’intérêt de mon pays me l’ordonne, et je trahirais sa gloire, si je voyais d’un œil tranquille qu’on veut payer ici ses bienfaits de la plus noire des ingratitudes. »

Quelle était donc, en dehors de la voix publique, le motif de cette émotion, qui contrastait si vivement avec le calme qui lui avait été recommandé en termes formels ? C’est que le ministre de France venait d’apprendre la conclusion du traité signé par John Jay avec la Grande-Bretagne. Dès lors, toute la correspondance d’Adet, de la première à la dernière ligne, abonde en récriminations contre les agens de ce gouvernement « qu’on a vu oublier les bienfaits de la France, pour favoriser les ennemis de la liberté française et de l’indépendance américaine, en se ravalant au rang de sujets de Georges III. »

Désormais, Adet n’aura plus qu’un but : détromper le peuple des États-Unis et empêcher Washington de ratifier le traité anglo-américain. Tout en s’abstenant de se plaindre officiellement de ce que le gouvernement de Philadelphie eût négocié avec les ennemis de la République française, sans avoir communiqué à celle-ci l’objet de cette négociation, il réussit à faire acheter d’un sénateur