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Anglais et les torys avaient à rendre nos agens très impopulaires, en donnant à leur mission un faux éclat plus propre à inspirer la jalousie que la confiance. »

Il ne faudrait pas, néanmoins, exagérer la portée de cette faute évidente. Si, assez souvent, Washington marqua, contre des actes qu’il avait le droit et le devoir de blâmer un légitime mécontentement, ces actes ne furent point la cause déterminante de sa politique.

Ce que voulait Washington, c’était maintenir, à l’intérieur le respect de la Constitution, à l’extérieur la neutralité et la sécurité des États-Unis. Par ses origines, son éducation, son passé militaire, ses goûts personnels, il tenait, de toutes ses fibres, à la race anglo-saxonne. Mais au-dessus de tout et de lui-même il mettait le culte de sa patrie. Quelque vives qu’eussent tout d’abord été ses défiances à l’égard de la France, — contre laquelle il avait combattu, non sans ardeur, pendant la guerre de Sept ans, — quel que fût son loyalisme envers le roi d’Angleterre, dont il se proclama longtemps le fidèle sujet, Washington n’avait pas reculé devant une rupture définitive avec la Grande-Bretagne, le jour où il avait vu sa terre natale atteinte dans ses droits, menacée dans ses intérêts, blessée dans son honneur. Ses sentimens avaient alors été ceux de tous ses compatriotes, qu’ils descendissent des puritains qui n’avaient pas hésité à quitter le sol anglais pour s’en aller, au delà de l’Atlantique, pratiquer les théories démocratiques et républicaines, ou qu’ils fussent les arrière-neveux de ces défenseurs des Stuarts qui, dans la Virginie, la Géorgie, les Carolines, étaient venus chercher un lointain refuge pour leur dévouement à la cause aristocratique et royale.

En tous cas, aussitôt qu’il fut certain que, sans une complète rupture et une guerre victorieuse, c’en serait fait, sur la terre américaine, des principes de légalité et de liberté politique que l’Angleterre, lors de la Révolution de 1688, avait mis à la base de son gouvernement, Washington était venu vers la France : il avait accompli cet acte décisif avec une résolution énergique et loyale, malgré les défiances qu’il avait lui-même éprouvées, qui subsistaient chez beaucoup de ses concitoyens, et que Benjamin Franklin, l’hôte futur et tant fêté de Versailles et de Paris, traduisait encore, au temps de Choiseul, par ces désobligeantes paroles : « J’imagine que cette nation intrigante aimerait à se mêler de nos affaires