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même ils ne sont pas écrits par elles, c’est le plus souvent pour elles qu’on les écrit. Après en avoir beaucoup lu, la fantaisie peut bien leur venir d’en composer à leur tour. Elles ont de l’imagination, et elles savent observer ; la faculté de rêve s’allie chez elles avec l’esprit de finesse ; elles voient juste, et ce qu’elles n’ont pas vu elles sont merveilleuses pour le deviner. Tandis que les hommes sont volontiers sollicités par la réflexion abstraite, par le jeu des idées ou les études savantes, elles sont uniquement intéressées par le spectacle de la vie. Il est rare qu’elles n’aient pas quelque souvenir qu’elles trouvent un plaisir, souvent amer, à revivre en le racontant ; il est plus rare encore qu’elles ne soient pas tentées de refaire, par l’imagination, leur vie en accord avec un idéal que la réalité a déçu. Avec beaucoup de sincérité et un peu de cet agrément qu’a si souvent la plume féminine, on peut aisément faire un bon roman. La difficulté commence au second ; mais on en est quitte pour ne pas recommencer, ou pour bénéficier de la longue indulgence que vous vaut un premier succès. C’est pourquoi si les femmes n’ont presque jamais réussi, ni dans la poésie, ni au théâtre, ni dans la philosophie, ni dans l’histoire, elles occupent au contraire une si belle place dans la littérature romanesque.

Il est vrai seulement que pendant une période, toute récente, de notre histoire littéraire, les femmes s’étaient écartées du. roman : c’était le temps où le naturalisme triomphant lui avait imposé ses habitudes de grossièreté. L’esprit féminin, en littérature, n’est pas nécessairement respectueux de la morale, ni de l’honnêteté, ni de la décence, et nous en aurons bien la preuve ; mais il répugne à la brutalité. Pendant vingt ans, le roman a, de parti pris, négligé de rechercher le suffrage des femmes : on a bien vu ce qu’il y avait perdu. Au surplus ce n’était qu’un accident, et le genre n’a pas tardé à rentrer dans ses voies. Si les femmes n’avaient guère lu qu’avec répugnance Zola et même Maupassant, elles accueillirent avec enthousiasme les livres où elles trouvaient à satisfaire leurs goûts de toujours. Elles lurent Bourget qui leur parlait avec tant de gravité des problèmes qui les inquiètent le plus, et Loti qui évoquait devant leur imagination ravie le mirage des pays lointains, comme pour prêter à leurs rêves un décor multiple et changeant, et Anatole France à qui elles pardonnèrent son ironie, charmées par la grâce fluide de son style. Elles en lurent d’autres encore et apprirent de chacun d’eux les procédés du métier. Les femmes sont, en art, médiocrement créatrices ; mais elles excellent à s’assimiler les résultats acquis. Ici comme partout elles suivent la mode. Assoupli par des tentatives si diverses, le roman