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c’est une indignité ! (Vifs applaudissemens. — Bruyante interruption.) Reprenant avec force : — Oui, je le répète, prêter un serment pour le violer, c’est une indignité. (Nouveaux applaudissemens. — Nouvelle interruption.) Permettez ! Chacun est maître de sa conscience ; si vous trouvez que la mienne a mal interprété le serment, vous voterez contre moi. (Oui ! oui ! c’est ce que nous ferons ! — Non ! non ! non ! ) Mais en ce moment vous avez un devoir, c’est de m’écouter. (Non ! non ! — Oui ! oui ! )

Tout à coup deux spectateurs placés au parterre se précipitent l’un sur l’autre ; les voisins se lèvent et s’interposent. Quelques minutes d’attente, et cet incident, qui n’était pas plus bruyant que les précédens, se fût terminé. Mais le commissaire de police ne cessait d’obséder le président : « Il est onze heures ! mes ordres sont formels ; il faut que je fasse fermer la salle. » Et le président ne se rendant pas à ses injonctions, il profita de l’insignifiante bagarre pour lever lui-même d’autorité la séance. Tout mon exposé avait été la préparation à une conclusion qui n’eût pas demandé plus d’un quart d’heure.

Cette interruption idiote ou perfide m’arrêta juste au moment où j’allais porter les coups décisifs. L’auditoire se dispersa en protestant violemment. Mes amis voulurent me porter en triomphe, mais c’eût été provoquer une collision, car la foule avait de nouveau envahi la place, s’était grossie dans les rues environnantes, et, une clameur de menace arrivait jusque dans la salle, avec les chants de la Marseillaise. Je me dérobai. Accompagné d’un seul ami, je regagnai le quai par une rue de derrière, et je rentrai chez moi. Le docteur Albert Robin, un de nos maîtres les plus illustres de la science médicale, m’a raconté depuis que, venu pour me siffler en compagnie d’étudians, il m’avait, comme eux, applaudi. D’autres furent moins accessibles à mes argumens, car, sur le trottoir de ma rue Saint-Guillaume, je trouvai un groupe de jeunes gens qui m’avaient devancé et me sifflèrent. Je leur souhaitai bonne nuit, et les remerciai de leur courtoisie.

L’excitation des esprits se prolongea une partie de la nuit. Deux bandes s’étaient formées à la sortie du théâtre ; l’une fut dispersée sans résistance, rue de Rivoli, l’autre, se dirigeant vers la Bastille, parcourut la place en criant : « Vive Baudin ! vive Bancel ! Aux armes ! » etc. ; elle assomma un sergent de ville, puis reprit sa route par les boulevards Richard-Lenoir et Beaumarchais, brisant vitres