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constituer : c’est à peine s’ils ont pu prendre forme et figure depuis une année, et, pour ainsi dire, en pleine anarchie. Seuls les partis subversifs se sont organisés et ont exercé une action en Russie pendant un demi-siècle, malgré la répression la plus rigoureuse. L’étude de leurs dramatiques vicissitudes, qui s’harmonise avec la sombre et tragique histoire de la Russie, présente un double intérêt, pour la Russie elle-même, et au point de vue d’une connaissance plus approfondie des théories et des tactiques socialistes empruntées à la France et à l’Allemagne, mais amplifiées par l’imagination et le caractère slaves : les systèmes et l’action socialistes s’y trouvent aux prises avec des difficultés et des obstacles moins sensibles ailleurs et qui en font mieux ressortir l’insuffisance ou l’utopie, mais aussi la force de propulsion, de révolution.

Un premier fait dément tout ce que nous enseignent les socialistes orthodoxes, dépositaires de la doctrine : les partis socialistes restent en quelque sorte stagnans dans les pays tels que l’Angleterre et les États-Unis, où l’industrie capitaliste atteint le plus haut degré de développement, et où les libertés démocratiques sont le mieux assurées ; ils prennent, au contraire, le développement le plus agressif chez les peuples, tels que les Russes, nés d’hier à la vie industrielle. C’est le renversement des théories classiques, qui font du Capitalisme et du Socialisme les deux côtés d’une médaille. D’autre part, la Russie étant parvenue la dernière à la vie politique, les idées révolutionnaires devaient y revêtir le caractère socialiste, car les idées libérales avaient déjà commencé à décliner à l’occident, lors de la naissance du mouvement russe.


I. — LES TSARS ET LA COMMUNE RURALE

Jusque vers le milieu du XIXe siècle, la Russie était encore un État exclusivement agraire. Elle reposait sur deux institutions fondamentales, le Tsarisme et la Commune rurale. Le Tsarisme représente l’organe de la vie et de l’unité politiques ; la Communauté rurale, l’Obchtchina, où la propriété paysanne est organisée sur une base de communisme, a servi de fondement économique à la nation. Dompteurs de peuples barbares, les tsars ne se sont pas toujours montrés des modèles de philanthropie : « Il n’était