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naturel. Tout vit, tout vibre, tout luit, dans l’éclat de la peinture, des ors, des émaux diaprés. Les yeux brillent avec une expression malicieuse, les bouches minuscules font la moue, ricanent, sourient par l’artifice de petites touches de carmin bien placées. Les plis des chairs sont accentués par le rose, ceux des étoiles par des rehauts, des lumières, des ombres, où les tons gardent toujours leur valeur, et les ornemens suivent le mouvement avec une ingénieuse fidélité. Tout est en proportion, en harmonie, à sa place.

Et chacune de ces statuettes ne vaut que quelques centimes. Pour une faible somme on peut se composer une galerie ethnographique telle que n’en possède aucun de nos musées. Quant au panthéon brahmanique il est là au grand complet. Pas un dieu, un génie, une manifestation, une incarnation divine qui ne soit matière à figurine ou à groupe. Assise sur son trône entre deux éléphans, la radieuse Latchmi est aspergée par eux de parfums à bout de trompes. Rama avec son arc, Sita calme et sereine, Latchoumana recueilli, le bon singe Anouman, tout vert, dans son petit caleçon blanc d’où s’échappe sa longue queue qui balaye le sol, Çiva, Vishnou, Virapatrin, Kali, que sais-je encore, se dressent devant moi avec tous leurs emblèmes compliqués. La bonne déesse Sarasvati, fille de Brahma, celle que les mères invoquent pour que leurs enfants puissent parler, est là, sous une arcade à jours et à festons. De ses quatre mains elle pince les cordes de son grand colachon, en touche le clavier, agite les clochettes dont le son règle la mesure. Devant son image, un orchestre de brahmes musiciens, assis en tailleur, le torse nu, s’évertue avec le violon, le théorbe, le tambourin, la flûte, les crotales, le triangle. Je renonce à énumérer les avatars de Vishnou.

Quant à Krichna, ses aventures galantes sont autant de motifs à sujets gracieux et badins. Que, les baguettes aux mains, il mène la danse sacrée du Kolaton, où quatre couples évoluent entrechoquant leurs petites verges de bois, qu’il nargue du haut de son arbre, les bergères (govastris) au bain dont il a volé les voiles, qu’il trône majestueusement, enfoui sous des guirlandes de roses, assis sur un trône dont le serpent à sept têtes forme le dais, ses traits sont toujours ceux de cet adolescent bouffi qu’adore tendrement l’Inde. C’est l’enfant prodigue, le mauvais sujet, le préféré des croyans.