Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/898

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sauvages, ils tiraillaient dans la campagne, en enfans perdus, enragés par les insultes des Anglais à leurs propriétés privées… Cependant les jours fuyaient ; quelques semaines encore et, l’hiver venant, Québec eût été sauvée.

Wolfe alors, impatienté, veut jouer une partie dernière. Ses brigadiers lui avaient suggéré de débarquer en force sur la rive méridionale du Saint-Laurent, de passer le fleuve assez avant en amont de Québec, et de revenir de l’ouest sur la place. Bougainville avait été détaché par Montcalm assez loin sur cette berge pour s’opposer à ce débarquement, que laissaient prévoir divers mouvemens de l’ennemi, dans les premiers jours de septembre. Le 3, déguisé en simple soldat, Wolfe a remonté le fleuve, au-delà de la ville, et soigneusement inspecté les rochers qui portent le plateau d’Abraham ; il y a relevé une crique et un ravin par où, de l’Anse à Foulon, l’escalade ne lui paraît pas impossible : c’est par là qu’il attaquera Québec. Il prend ses dispositions dans le plus grand mystère, ne s’étant ouvert de ses projets, semble-t-il, qu’à des officiers de la flotte ; ses brigadiers, jusqu’au dernier moment, ne reçurent que des instructions brèves et peu explicites ; comme ils s’en étonnaient dans une lettre collective, Wolfe leur écrivit sèchement, dans la soirée qui précéda la bataille, qu’il était seul responsable et qu’il n’était pas d’usage de donner aux lieutenans des renseignemens plus précis sur les intentions du chef.

Montcalm, qui ne pensait pas être attaqué si près de la ville, n’avait placé à l’Anse à Foulon que quelques sentinelles, et sur le haut du sentier, barré par des broussailles et des troncs d’arbres, un petit poste d’observation. Le 13 septembre, à six heures du matin, il venait à peine de reposer quelques heures après une inspection des gardes, lorsqu’il apprend que l’armée anglaise, débarquée par l’Anse à Foulon, se formait en bataille sur le plateau d’Abraham : la chance de Wolfe voulut, en effet, que les sentinelles de l’Anse attendissent, précisément pour cette nuit-là, un convoi de vivres descendant de Montréal ; trompés par un marin anglais, qui répondit en français à leurs Qui vive ! ces hommes sont surpris et tués ; aussitôt un peloton choisi de soldats d’élite, — tous ces détails avaient été combinés avec soin, et là est le vrai mérite de Wolfe, — s’élancent à l’assaut des rochers ; au bout de quelques instans, le poste du haut est enlevé presque sans combat, le sentier déblayé livre passage à des canons et peu à peu,