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Pour les derniers Français du Canada, la lutte n’était plus possible ; il eût fallu que des renforts arrivassent de France, ou tout au moins que les Anglais fussent coupés de la métropole ; Lévis, comme nous l’avons dit plus haut, ne put que sauver l’honneur et briser son épée, le jour de la capitulation finale, celle de Montréal. Ce sent, on ne saurait trop le répéter, les troupes venues d’Angleterre qui ont arraché le Canada à la France, Il faut faire, dans leur succès, la part très large des circonstances favorables : d’abord, une navigation extraordinairement facile sur le Saint-Laurent, ensuite l’énervement et la maladie même de Wolfe, qui déterminèrent le général à une hardiesse presque folle puis, au jour de la bataille, la méprise des sentinelles de l’Anse à Foulon, enfin la mort de Montcalm, à un moment où il n’eût pas été trop tard encore pour craindre de sa part une prompte revanche. Mais on doit noter aussi, à leur éloge, l’exacte discipline des régimens au feu, l’entente parfaite entre les officiers de vaisseau et ceux des troupes, qui fut peut-être la raison déterminante de la victoire des plaines d’Abraham ; enfin, à la gloire de Wolfe, la maîtrise de soi-même et le jugement qui lui permirent, une fois sa résolution prise sous l’empire d’une émotion maladive, de ne rien laisser au hasard de ce qu’il pouvait raisonnablement lui enlever. La bravoure des Canadiens, leur amour pour leur pays ne font pas de doute, et se sont affirmés pendant cette guerre fatale, comme depuis le traité qui les a livrés à l’Angleterre ; mais, en face de leurs milices, trop peu renforcées par des soldats de France, les troupes anglaises régulières ne pouvaient manquer de triomphera la fin ; il ne suffit pas que les hommes les plus courageux du monde se rassemblent, pour constituer une armée et vaincre en bataille rangée ; longtemps après les Canadiens, mis comme eux en face des régimens de l’Angleterre, d’autres en ont fait la triste expérience ; et le moment ne paraît pas venu encore où, pour défendre l’habitant, on pourra se passer du soldat.


Une lettre de Montcalm à un ami, envoyée de Québec le 24 août 1759, décrit les événemens qui vont suivre avec une telle précision que l’on se demande si ce document n’aurait pas été remanié par un annotateur ; après la victoire anglaise en Canada, dit-il, les Américains vont chanter l’air de la liberté ; ils n’ont pas oublié les principes républicains de leurs ancêtres ; ils sont peu portes à la