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« à un député à la Convention. » L’auteur y discutait avec une logique serrée, une éloquence nerveuse et sarcastique, la mesure qui établissait pour une partie des membres de la Convention « le plus étrange des privilèges et les plaçait de droit, ou, pour mieux dire, de force au rang des représentans de la nation. » Il passait en revue tous les sophismes par lesquels on prétendait la justifier ; la nécessité de protéger la nation contre ses propres égaremens, l’imprudence commise en 1791 par l’Assemblée Constituante, la propre sûreté des conventionnels, le projet de faire ratifier cette prolongation de pouvoirs par le peuple en l’inscrivant à la suite de la Constitution ; et il concluait par ce dilemme ! « Vous avez à choisir en ce moment entre deux partis décisifs. La route de la sûreté, c’est le courage ; la crainte court à sa perte par le déshonneur[1]. »

Le succès des Lettres à un député fut très vif, dépassa même les espérances de l’auteur. Il croyait faire œuvre de républicain : on le prit pour un monarchiste. Tout le désignait à l’attention des royalistes, le sujet traité, le choix du journal. Les salons dorés lui « sautèrent au col ; » la princesse de Poix demanda à le voir ; une députation royaliste se présenta dans son logement de la rue du Colombier, l’invita à coopérer au l’établissement de la monarchie. Les républicains, en revanche, étaient fort mécontens. L’irascible Louvet, alors président de la Convention, tança vertement « l’intrigant » dans son journal, la Sentinelle (10, 11 et 12 messidor, — 28, 29, 30 juin) : il affirmait, avec les argumens d’usage, que le sort de la république était étroitement lié à celui des conventionnels, que ceux-ci périraient ou seraient sauvés avec elle. Louvet, qui était en relations avec Mme de Staël et Constant, ignorait-il qui avait inspiré, qui avait écrit les trois lettres ? Constant l’affirme[2]. Le fait est peu vraisemblable. Comment supposer qu’un secret, connu d’une moitié de Paris, n’ait jamais transpiré dans l’autre ! Il est plus probable que Louvet devina d’où venait le coup et que

  1. Les articles ne sont pas signés ; mais il n’y a aucun doute sur leur auteur. Constant, sans nommer le journal, parle lui-même dans ses Mémoires, (Coulmann, t. III) des trois articles anonymes qu’il écrivit contre les décrets des 5 et 13 fructidor, et la lettre de Camille de Roussi lion, publiée par Godet, Mme de Charrière, II, 208, le désigne comme en étant l’auteur : « Vous avez vu de son ouvrage dans les Nouvelles politiques des 6, 7, 8 messidor. »
  2. Mémoires dans Coulmann, t. III.