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les assemblées primaires se réunissent (20 fructidor — 6 septembre), où Paris devient bruyant ; elle feint de donner satisfaction au Comité de salut public. Mais Saint-Gratien n’est guère qu’à trois lieues de Paris, et elle continue ses dîners, ses réceptions à l’ambassade de Suède, comme par le passé[1]. En même temps, au fond de sa retraite, elle corrige les épreuves d’un petit ouvrage, écrit avec toute son âme, tout son cœur, qui est imprimé, prêt à paraître en vendémiaire, mais qu’elle ne publiera pas, parce que la marche rapide des événemens le rendra inutile : ce sont les Réflexions sur la paix intérieure[2]. Ces pages méritent qu’on s’y arrête : elles font date dans l’histoire des idées politiques de Mme de Staël et du parti républicain en France.

La grande pensée de ce petit livre, c’est l’appel à la concorde, à l’union de tous les citoyens, « projet presque puéril » aux yeux des profonds politiques ; mais les « Français rapprennent toutes les pensées, elles ont reçu le sacre du malheur, et c’est avec une sorte d’enthousiasme qu’on dit ce qui a toujours été vrai, tant on se trouve heureux de revenir à le croire et de pouvoir l’exprimer. » Il s’agit d’écarter ce qui peut diviser, de rechercher ce qui doit unir. Or, tout montre chez les Français une volonté générale d’établir la liberté : la haine du despotisme, l’enthousiasme de la république, la crainte des vengeances, l’ambition des talens ; c’est l’opinion qui réunit « le plus grand nombre de Français. » C’est donc à la liberté qu’il faut se rallier. Mais comment l’établir ? Elle a deux sortes d’ennemis : d’une part, les défenseurs de la monarchie absolue, ceux qui s’unissent à l’étranger pour combattre la France : « Ils sont étrangers ; qu’ils soient combattus et traités comme tels ! » D’autre part, les sectaires de la tyrannie démagogique, les terroristes. Restent alors les « royalistes amis de la liberté » et les ce républicains amis de

  1. Autrement, on ne s’expliquerait pas les vers satiriques du Messager du Soir, du 11 vendémiaire. (AULARD, Réaction thermidorienne, II, 293.)
  2. La table chronologique des écrits de Mme de Staël (Œuv. compl., t. XVII) signale cet ouvrage comme « imprimé, non publié en 1795. » Cela est exact ; on n’en trouve pas trace dans les journaux de l’époque. D’autre part, les allusions aux massacres de Quiberon, à la mort de Sombreuil, au vote de la constitution de l’an III, fixent en juillet-août l’époque de sa rédaction. Benjamin Constant, dans une lettre à son oncle Samuel du 30 fructidor, parle des Réflexions comme étant sur le point de paraître.