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sans cesse entre les deux partis, agitant vainement le rameau d’olivier. Le résultat fut contraire à ses espérances ; les républicains se crurent trahis par elle, et les royalistes lui surent mauvais gré d’avoir prophétisé leur défaite.

On connaît la suite des événemens : Barras, nommé général en chef de l’armée de l’intérieur, les sections foudroyées au cul-de-sac Dauphin par l’artillerie de Bonaparte, la Convention victorieuse. Pendant que les représentans attendaient dans le plus profond silence l’issue du combat, la loge des ambassadeurs s’ouvrit, et l’on vit paraître M. de Staël, solennel, le sabre au côté, comme s’il se fût armé pour la défense de l’Assemblée. Cette manifestation théâtrale produisit une impression profonde et, quelques semaines plus tard, à la réception du corps diplomatique, le Directoire remerciait publiquement l’ambassadeur de Suède[1].

Mais si l’on savait gré à M. de Staël de son zèle, on redoutait toujours les intrigues de sa femme. On n’ignorait pas qu’elle allait et venait de Saint-Gratien à Paris, qu’elle recevait à sa table tous les partis :


Staël à tous les partis commande en souveraine ;
Toutes les factions assistent à sa cour ;
Chez elle, on voit s’assembler nuit et jour
Le Centre, le Marais, la Montagne et la Plaine…[2].


Après le coup d’État du 13 vendémiaire, elle est au désespoir. Elle profite de ce que les barrières, de Paris restent ouvertes, accueille les proscrits, cache à Saint-Gratien Lezay-Marnesia poursuivi. Elle intervient de la laçon la plus pressante auprès de Daunou, empêche Lacretelle de passer devant le conseil de guerre[3]. Mais enfin le Comité de salut public perd patience : manifestement, Mme de Staël compromet son caractère de femme d’ambassadeur. Le 15 vendémiaire (7 octobre), Lakanal propose à la Convention d’établir dans Paris une « police terrible, » de reconduire aux frontières tous ceux qui ne veulent pas de république. Le 23 (15 octobre), sur la proposition de Tullien, la Convention se forme en

  1. La Sentinelle, du 16 vendémiaire. — Le Journal de Paris, 1er frimaire 22 novembre.)
  2. Le Messager du Soir, 11 vendémiaire (3 octobre). (Cf. AULARD, Réaction thermid., t. II, 215.)
  3. Lacretelle, Dix ans d’épreuves, p. 267.