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conseils qu’on applaudit du bout des doigts, qu’on apprécie, qu’on estime, et qu’on s’empresse d’oublier.

C’est donc ailleurs qu’il faut chercher des manifestations propres à nous éclairer. On s’est demandé tout d’abord si le ministère Sarrien, loi qu’il est constitué, subsisterait. Au point où en sont les choses, nous pourrions peut-être le souhaiter, mais nous en doutons. Sans avoir, aujourd’hui surtout, la superstition des ministères homogènes, il faut bien constater que celui-ci ne l’est pas du tout : il est composé d’élémens divers dont les uns essaieront un peu plus tôt ou un peu plus tard d’empiéter sur les autres et de les supplanter. Ce ministère ne manque pas d’hommes distingués : qui sait même s’il n’en a pas trop ? Il y a danger d’explosion à en accumuler un si grand nombre dans un aussi étroit espace ? Chacun d’eux a ses idées, et quelques-uns y tiennent. Mais les vacances sont si prochaines ! Dans un mois, vers le 14 juillet, la Chambre s’en ira et ne rentrera en session qu’à la mi-octobre. Elle n’aura peut-être le temps de rien casser avant de se séparer, pas même le ministère, qui vivra ainsi encore quatre ou cinq mois. Après, on verra. Au reste, ce n’est pas un ministère particulier, celui-ci ou un autre, qui peut aujourd’hui nous intéresser beaucoup. La question est plus haute : il s’agit de savoir si le gouvernement, quel qu’il soit, gouvernera, ou si la Chambre le fera à sa place. Pendant les beaux jours du bloc, la Chambre gouvernait : M. Combes n’était que son prête-nom. Le rouage essentiel de la machine gouvernementale était la Délégation des gauches dont le fonctionnement ressemblait beaucoup à celui des comités jacobins de la période révolutionnaire. La violence était moindre parce que la résistance l’était aussi, mais le procédé était le même. Après les élections de mai, nos jacobins actuels ont émis tout de suite, dans leurs conciliabules et dans leurs journaux, la prétention de reconstituer l’appareil dont ils avaient tiré un parti si utile ; mais ils ont rencontré des difficultés imprévues et le succès de l’entreprise reste encore incertain. Il y a des choses qui se font spontanément plutôt que de propos délibéré, et dont il est même dangereux de trop parler d’avance. Au fond, que voulaient nos jacobins ? Dominer le gouvernement demain comme ils l’avaient fait hier, lui dicter la loi, la lui imposer, au lieu d’attendre de lui impulsion et direction.

Mais le gouvernement se laissera-t-il faire ? Quelques-uns de ses membres y semblent peu disposés, entre autres M. Poincaré, ministre des finances, qui a prononcé à Commercy un discours très important, le plus important à coup sûr que nous ayons entendu depuis les