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la soutint avec une inlassable bonne volonté, et non sans pressentir, ce semble, la gravité des objections qu’on y pouvait faire. Il adressait une lettre particulière à Pacca, pour lui faire observer que, dans toute paix, la partie qui fait des sacrifices est en quelque mesure contrainte par la force, et qu’aucun décret formel de la France n’avait déclaré nul l’acte de Tolentino[1]. « Ce traité, disait-il un autre jour, est la tête de Méduse, qu’à tout moment on vous présente pour vous pétrifier[2]. »

« Les Légations sont à donner, non à rendre : » telle était au contraire la thèse de l’Europe, soutenue par Metternich aussi bien que par Talleyrand. Metternich, d’ailleurs, promit à Consalvi, dès l’origine, qu’elles seraient données au Pape ; mais à peu près au même moment, François Ier ne cachait pas son idée d’y installer Marie-Louise ; et cette contradiction entre l’Empereur et le ministre n’avait rien de rassurant pour Pie VII. Nombreux étaient les mendians et mendiantes, de race royale ou princière, qui avaient besoin d’un peu de terre italienne pour se refaire un train de vie. Il y avait Marie-Louise, fille de François Ier, et que l’on commençait à traiter en veuve, puisque l’on cherchait pour son impérial mari un coin de terre qui appartînt à peine à la terre ! Il y avait une autre Marie-Louise, fille de Charles IV d’Espagne, ancienne reine d’Etrurie. Il y avait Eugène de Beauharnais, le moins exigeant parmi ces faméliques couronnés. Il y avait un enfant qui n’était pas encore en âge de réclamer, et qui, roi de Rome la veille, avait même cessé d’avoir un nom ; on l’appelait, lorsqu’on parlait de lui, le Napoleonido, le ragazzo[3], et le pharisaïsme de la réaction européenne ne pouvait pardonner à l’infortuné bambin d’être fils d’un adultère — de l’adultère entre les Habsbourg et la Révolution ; mais de temps à autre, la romanesque générosité du tsar sollicitait un tout petit nid pour l’aiglon. A côté des mendians qui veillaient sur l’Italie comme sur une proie, d’autres quémandeurs plus opulens se tenaient aux aguets. Si le tsar s’agrandissait en Pologne, si la Prusse s’agrandissait en Saxe, l’Autriche voulait s’agrandir en Italie : ce serait tant pis pour le Pape, si les rois en exil que les circonstances avaient faits pauvres, si les rois en place qui ne voulaient point laisser le voisin s’enrichir sans devenir plus riches

  1. Rinieri, V, p. 360-371.
  2. Ibid., V, p. 692.
  3. Ibid., p. 143.