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ait accord entre ces diverses observations intérieures, en serions- nous bien avancés ? Quels résultats précis obtiendrions-nous ainsi ? Nous décrivons ce que nous constatons dans notre conscience ; nous ne l’expliquons pas. « Contempler l’esprit en lui-même, dit toujours Auguste Comte, c’est faire abstraction des causes et des effets, c’est regarder de loin des résultats dont les conditions échappent nécessairement. » Et, à la vérité, quand on examine le principe d’une méthode introspective, on ne peut guère ajouter à la critique positiviste.

C’est que, à côté de cette psychologie inexistante, Auguste Comte avait trouvé de son temps une physiologie constituée : les médecins, déjà ambitieux, s’étaient eux-mêmes préoccupés des « rapports du physique et du moral. » Cabanis avait mis en lumière l’influence du sexe, de l’âge, du milieu, du régime, de l’état de santé, sur les fonctions mentales. Bichat avait été jusqu’à dire que les passions avaient leurs causes uniquement dans les viscères. Surtout Gall régnait. Auguste Comte suivit les physiologistes, et non les psychologues. Il réduisit la psychologie des uns à la physiologie des autres : « La théorie positive des fonctions affectives et intellectuelles est donc irrévocablement conçue comme devant désormais consister dans l’étude, à la fois expérimentale et rationnelle, des différens phénomènes de sensibilité intérieure propres aux ganglions cérébraux dépourvus de tout appareil extérieur immédiat, ce qui ne constitue qu’un simple prolongement général de la physiologie animale proprement dite, ainsi étendue jusqu’à ses dernières attributions fondamentales. »

Auguste Comte exagérait, évidemment. « Les successions des phénomènes mentaux, objectait déjà Stuart Mill, ne peuvent être déduites des lois physiologiques de notre organisme nerveux. » La physiologie pure ne vaut donc guère mieux que la psychologie pure ; mais la conception des Cousiniens et celle de Comte s’éclairent mutuellement et se font pendant. Ce sont deux extrêmes logiques entre lesquels la psychologie n’a cessé d’osciller, au cours de son histoire, pour se trouver un point d’équilibre. Si elle reste cousinienne, en effet, elle ne peut devenir positive ; si elle continue d’être comtiste, elle cesse d’être psychologique. Comment lever cette difficulté ?

Or, je trouve en moi des événemens, tels qu’il n’en existe pas de semblables dans l’univers : ce sont mes sentimens, mes idées,