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cette universelle fièvre psychométrique, l’Allemagne, est-il besoin de le dire, resta la plus ardente. Ses représentans furent honorés dans les Congrès et il sembla un moment que la psychologie ne pouvait avoir d’autre forme que ce travail de laboratoire, qui, de Leipzig, avait rayonné dans le monde.

Pourtant, l’éclat même de ce succès devint bien vite dangereux. On exagéra. En France, notamment, la psychométrie, qui ne fut qu’une imitation, se défendit mal de la puérilité. Son principal représentant, à peine officiel, M. Alfred Binet, après avoir tenté de réunir quelques élèves dans un laboratoire annexé à la Sorbonne, ne parvint guère à y maintenir que des secrétaires. Il s’adonne aujourd’hui à des travaux de société, comme la graphologie, et même à des essais de philosophie générale sur « l’âme et le corps. » L’Année psychologique, où il avait eu l’heureuse idée de résumer régulièrement l’ensemble des travaux de ce genre, n’offre plus l’intérêt d’autrefois, indiquant par là même la généralité de ce recul. L’Allemagne elle-même est aujourd’hui frappée, semble-t-il, de découragement. Les derniers ouvrages de Wundt révèlent des préoccupations plus larges où l’on voit bien que, d’instinct, il fut toujours un philosophe et un logicien : il s’intéresse à la psychologie des peuples. Son périodique, les Philosophische Studien, n’a pas, lui non plus, gardé le prestige de ces débuts. Déjà au Congrès de Paris, en 1900, l’école allemande avait cessé d’absorber toute l’attention des psychologues. Elle avait paru effacée. Au congrès de Rome, en 1905, elle ne parut même pas. On put croire qu’elle avait cessé d’exister.


D’une destinée tout à la fois si brillante et si courte, quelles furent donc les causes ? Il serait intéressant de les dégager aujourd’hui. Ce serait sans doute marquer du même coup la valeur de la tentative.

D’abord, la seule idée d’une psychométrie est d’un attrait presque irrésistible, il faut bien le reconnaître. Dans une science comme la psychologie où tout est fuyant, mystérieux, insaisissable, on avait cru découvrir de suite un élément de précision définitif. Spinoza avait tenté autrefois, avec les passions, une psychologie géométrique, où l’on voyait les mystères du cœur définis et enchaînés par théorèmes, more geometrico : qu’était-ce que cela ? On entrevoyait maintenant une psychologie numérique,