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Mais supposons que, dans une émotion violente, on supprime tous ces phénomènes qui ont l’air de l’accompagner, que resterait-il, au juste, dans ma conscience ? Une représentation, une froide idée, la vue d’un pistolet qui me laisserait impassible. Dès lors, ces mouvemens, la pâleur et la fuite, au lieu d’être les effets de ma peur, n’en seraient-ils point la cause ? Ce que j’appelle émotion, ce serait simplement la conscience de toutes ces manifestations spontanées, instinctives de mon organisme. Il faudrait dire : « Je vois un pistolet braqué sur moi : je pâlis, je me sauve ; j’ai peur, » En d’autres termes encore, il n’y a pas de différence de nature, ni de mécanisme, entre une sensation de mes sens et une émotion. Pour que j’aie une sensation de lumière, il faut que, en conséquence d’une excitation extérieure, une impression soit transmise de mon organe perceptif à mes centres cérébraux. De même, pour que j’éprouve ce trouble que l’on appelle une émotion, il est nécessaire que, dans mon organisme, se soient produits des changemens de circulation, de respiration, de motricité, qui agissent alors sur mes centres cérébraux et y déterminent l’apparition, dans ma conscience, du sentiment correspondant. Chaque émotion élémentaire, telle que la joie ou la tristesse, la colère ou la peur, a sa physionomie corporelle, qui est primordiale, et dont la physionomie morale n’est que l’expression secondaire. L’homme joyeux s’agite, sent le besoin de se mouvoir ; son visage s’arrondit, il a les muscles tendus, le teint chaud : le mélancolique, au contraire, a la physionomie molle, allongée, les traits pendans. Les enfans trépignent, battent des mains. Le furieux crispe les poings, se mord les lèvres.

William James avait fait une analyse toute semblable du sentiment de l’effort où il ne voyait que la résultante des sensations musculaires et autres, accompagnant le mouvement exécuté. On avait admis longtemps l’existence d’un sens de l’innervation, comme si, à sa sortie du cerveau, la conscience percevait la décharge. Mais il n’en est rien. La conscience ressemble à un employé de douane qui n’enregistre que l’importation, non l’exportation. L’effort et l’émotion s’expliquent par un même mécanisme, uniquement centripète.

L’hypothèse ainsi généralisée paraissait tout à la fois paradoxale et précise. Elle plut aux psychologues, parce que son auteur en était un, qui y avait été conduit psychologiquement.