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tels que « la survivance des habitudes utiles, » l’explication d’un simple fait de mécanique physiologique.

C’est que toutes ces spéculations physiologiques sont restées pénétrées de cet esprit philosophique et finaliste auquel on avait prétendu faire échec. Cette illusion n’est point rare dans le début des sciences. Au fond, on poursuivait, dans l’étude des organes, des idées d’unité rationnelle et de convenance logique. De Descartes auteur du Traité des Passions à William James, auteur de la théorie des Emotions, les différences sont surtout dans le vocabulaire théorique, car le métaphysicien, lui aussi, concevait la sensibilité affective et sensorielle sur un seul type. Et la psycho-physiologie a continué sans le savoir une bien longue tradition.


Et voilà pourquoi, malgré tout, la psychologie a dû faire toute seule ses acquisitions les plus précieuses. La physiologie n’était pas assez avancée pour lui être d’un grand secours. Elle l’a longtemps troublée d’une illusion. Elle l’encombre bien souvent encore d’un symbolisme un peu grossier : les hypothèses cérébrales commencent à remplacer chez certains neurologistes les théories périphériques.

Ce n’est pas que l’idée d’une psycho-physiologie soit absurde ni même sans doute irréalisable. Le principe de l’évolution ne nous permet guère de douter qu’il y ait continuité dans toute la réalité, et par conséquent dans notre savoir. Mais cette continuité des choses commence toujours par nous échapper. Notre savoir est d’abord fragmentaire. Ainsi Claude Bernard était convaincu que la vie est réductible aux forces physico-chimiques. Mais il étudiait biologiquement les phénomènes biologiques : on ne peut rapporter tout de suite à une science antérieure le fait dont l’ignorance même a suscité une science nouvelle. D’ailleurs, alors que la physiologie est encore si inhabile à saisir la vie nerveuse, comment pourrait-elle nous éclairer sur la conscience ? Le seul défaut sans doute d’une tentative psycho-physiologique est d’être prématurée. On l’a prise pour un moyen. C’est le contraire. Elle est une fin, une fin très lointaine peut-être, un idéal.


GASTON RAGEOT.