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assurément, mais non pas de cette manière exacte, précise, et complète. On saura désormais que l’erreur est fâcheuse, et pourrait même avoir des conséquences assez graves, qui consiste à renvoyer du texte de Montaigne à une traduction quelconque de Plutarque, celle de Clavier, par exemple, ou celle de Ricard. C"est le texte d’Amyot qu’il faut rapprocher du texte de Montaigne : le texte de 1559, ou peut-être de 1567, pour les Vies parallèles ; et le texte de 1572, incontestablement, pour les Œuvres morales et mêlées. Et, en effet, c’est là seulement que nous pouvons nous rendre compte comment Montaigne emprunte, imite, copie, transpose, abrège, allonge, et, finalement, de ses imitations mêmes, dégage pourtant son originalité. « Tout copiste qu’il est, a dit quelque part Malebranche, dans un chapitre classique de La Recherche de la Vérité, il ne sent point son copiste, et son imagination forte et hardie donne toujours le tour d’original aux choses qu’il copie. » Nous pouvons assurer M. de Zangroniz, — puisqu’il exprime un doute à cet égard, — que Malebranche, en écrivant ces lignes, s’est rendu « un compte bien exact de la vérité de son allégation. » Il avait, sur l’ « invention littéraire, » les idées de son siècle, qui sont aussi bien celles des anciens, ou du moins des classiques latins, de Virgile et d’Horace, par exemple, et, même en grec, les idées de Plutarque, lequel sans doute, n’est qu’un compilateur, et on pourrait dire, si l’on le voulait, un plagiaire.

Mais Plutarque, traduit par Amyot, n’est pas le seul ancien dont se soit inspiré Montaigne. Il a aussi beaucoup lu, souvent imité Sénèque, et généralement la littérature latine lui est toute familière. Il connaît moins bien la grecque, ce qui est d’ailleurs le cas de la plupart de ses contemporains, par rapport à la génération précédente, et ce qui confirme ce que nous avons dit plusieurs fois de la « latinisation de la culture » dans les dernières années du xvie siècle. En dépit des efforts de quelques érudits, parmi lesquels Henri Estienne, les Grecs, d’année en année, vont maintenant perdre du terrain, et les Latins en gagner d’autant. Les Essais de Montaigae en sont un témoignage. Le moindre intérêt du petit livre de M. de Zangroniz n’est pas d’avoir mis ce fait en lumière. Si ce n’était ce qu’il doit à Plutarque, Montaigne serait tout Latin. Et Plutarque, après tout, est-il tellement Grec ? Il est surtout « cosmopolite, » comme Sénèque ; et, ainsi que la critique anglaise l’a bien fait voir, — dans des travaux que nous ne