Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas être sans une prescription ou une réserve spéciale quant à l’usage qu’elles seront tenues d’en faire. On comprend fort bien le plan de M. Clemenceau. Il résout la question des églises comme il a résolu celle des inventaires, avec plus de respect pour le sens commun que pour la loi. Ce n’est d’ailleurs pas nous qui nous en plaindrons. Sa seule crainte est que des émeutes ne se produisent autour des églises qu’on voudrait fermer, que le sang ne coule, qu’il n’y ait peut-être mort d’homme, toutes choses qui sentent terriblement la persécution. Il se contente donc de faire main basse sur les biens de l’Église, sur ceux qu’on peut prendre et attribuer à des œuvres laïques par l’accomplissement de simples formalités administratives, sans qu’il y ait rien d’apparent, ni heurt possible entre la foule catholique et la troupe. Le plan est ingénieux. On enlève 200 millions aux catholiques sans que personne puisse s’y opposer ; on leur laisse, au contraire, les églises ouvertes parce que la solution contraire n’irait pas sans tapage. Soit ; mais tout cela est-il la loi ? Nous voilà ramenés à la même conclusion, à savoir que la loi ne peut, sans l’adhésion du Pape, être exécutée dans l’esprit où elle a été faite et où le gouvernement s’efforçait de la maintenir. Comment le nier ? Ce serait nier l’évidence.

Sent-on aujourd’hui la faute qu’on a commise, et dans laquelle on persévère par amour-propre, en voulant régler, résoudre, trancher des questions mi-partie politiques et mi-partie religieuses, sans aucune entente avec Rome ? S’il y a des formalités pour le mariage, il y en a aussi pour le divorce : il y en a pour toutes les situations où des intérêts communs sont liés ou déliés. Nous ne parlons pas de la haute inconvenance d’une rupture unilatérale qu’on n’a même pas notifiée au Pape, et dont on espère pourtant qu’il ne manquera pas de tenir compte pour la plus grande tranquillité de la République. On a agi ainsi envers lui parce qu’il est matériellement faible ; on se serait bien gardé de le faire s’il avait été fort. Mais quoi ! est-ce qu’il existait ? Il vient de révéler au gouvernement son existence dans des conditions qui ne lui permettent plus d’en douter. Le gouvernement comprendra-t-il cette leçon ? Comprendra-t-il, même s’il ne l’avoue pas encore, l’obligation pour lui de reprendre contact avec un pouvoir spirituel qui, dans sa faiblesse apparente, continue de remuer tant de choses à travers le monde et dispose chez nous de la paix ou de la guerre des esprits et des consciences ? Si l’État est un fait, l’Église en est un autre, et le Pape lui aussi en est un dont il n’est pas permis à des hommes politiques, qui se disent réalistes et positivistes, de faire abstraction dans leurs calculs. Il faut s’entendre, même pour vivre dans