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de fer qui traversent une partie de l’Asie Mineure et de la Syrie et par l’appui qu’elle pourrait trouver parmi les populations arméniennes et arabes. Il importait donc à la Grande-Bretagne, depuis qu’elle possède les Indes, il lui importe plus que jamais aujourd’hui, qu’aucune puissance redoutable ne s’établisse à Constantinople, dans les montagnes d’Arménie, en Syrie ou en Perse. La Turquie elle-même si, par ses propres moyens ou avec le concours d’une nation européenne, elle mettait en ligne une force militaire imposante, pourrait, à un moment donné, incarner, pour la puissance maîtresse de l’Egypte, du canal de Suez et des routes de l’Inde, le péril qu’elle redoute. Ces vérités d’ordre géographique et historique expliquent en très grande partie l’évolution de la question d’Orient ; elles rendent compte de faits en apparence contradictoires ; elles sont la clé sans le secours de laquelle le jeu de la politique européenne en Orient reste inintelligible.

Il n’est pas besoin d’expliquer longuement comment la Russie, dans ses efforts pour sortir de sa prison continentale, se heurte fatalement aux intérêts anglais. Tant qu’elle existera comme grande puissance, la Russie cherchera à trouver, sur les libres océans, la respiration maritime dont elle a besoin et les limites naturelles qui lui font défaut au milieu de l’infini déroulement de ses grandes plaines. Les Anglais pensent que, si elle dominait à Constantinople, en Arménie, en Perse, en Afghanistan, la Russie menacerait les routes de l’Inde : c’est ce péril que l’imagination populaire traduit quand elle se représente les cosaques s’élançant, du haut des monts, à la conquête de l’Hindoustan. L’antagonisme, entre la poussée russe et l’expansion anglaise, a été jusqu’à présent irréductible ; l’Angleterre ne saurait renoncer aux routes de l’Inde à moins d’abdiquer son Empire ; la Russie, tant qu’elle sera la Russie, c’est-à-dire tant qu’elle gardera, avec son unité, la conscience de ses intérêts et de ses traditions, tendra d’un effort inlassable à s’assurer la liberté des détroits : seul le « triomphe d’une révolution fédéraliste pourrait l’amener à oublier momentanément une politique dont la nature et l’histoire lui ont jusqu’ici fait une nécessité.

Ainsi la Russie et l’Angleterre n’étaient pas libres d’avoir ou de n’avoir pas une politique et des intérêts engagés dans la question d’ Orient : une politique orientale était, pour l’une comme pour l’autre la conséquence de leur situation dans le