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Bosphore, ce qui préoccupe le gouvernement de Londres, ce qui le décide à une action diplomatique énergique appuyée par des préparatifs militaires, c’est moins la Bulgarie étendue jusqu’à la mer Egée, Constantinople menacée, que les progrès des Russes en Asie, la cession d’un large morceau du massif arménien comprenant les sources de l’Euphrate, d’où il est facile de descendre en Mésopotamie, et une partie de la route qui, de Trébizonde, par Erzeroum, Alachkert et Bayazid, conduit les marchandises anglaises jusqu’au cœur de la Perse. S’il s’oppose à la création de la Grande-Bulgarie de San Stefano, c’est que lord Beaconsfield la croit destinée à rester dans la mouvance du grand Empire russe, qui, par là, trouverait un débouché, des ports sur la mer Égée, et menacerait le canal de Suez ! Contre ces périls, si exagérés soient-ils, l’Angleterre met en action toutes les ressources de sa diplomatie ; lord Derby, trop tiède, donne sa démission (28 mars 1878) ; il est remplacé par lord Salisbury, plus ardent, mieux pénétré des doctrines impérialistes de Beaconsfield. Les réserves sont appelées ; des troupes indiennes arrivent à Malte. Mais c’est toujours la diplomatie qui fait la plus active besogne.

Le comte Schouvalof, ambassadeur de Russie à Berlin, part de Londres le 8 avril, s’arrête à Berlin où il a une entrevue avec le prince de Bismarck, et arrive à Pétersbourg où il arrête le texte de deux memorandum qu’il rapporte à Londres où ils sont signés le 30 mai : les deux cabinets y précisent, d’un commun accord, les concessions que, dans l’intérêt de la paix générale, la Russie consent à faire, tant en Asie qu’en Europe : elle abandonne la Grande-Bulgarie, les sources de l’Euphrate, Alachkert et Bayazid, c’est-à-dire la route de Trébizonde en Perse : dès lors, l’Angleterre a satisfaction sur les points essentiels ; le Congrès peut se réunir, il est assuré d’aboutir à un résultat favorable.

En même temps qu’elle négociait avec la Russie, l’Angleterre prenait ses précautions en Orient. En Asie, où ils conserveraient Batoum, Kars et Ardahan, les Russes n’allaient-ils pas exercer encore une influence prépondérante dans ce massif montagneux de l’Arménie qui est le nœud stratégique de l’Asie occidentale, préparer pour l’avenir une descente, soit vers le golfe Persique, soit vers le golfe d’Alexandrette et la Syrie ? Le contre-coup des défaites subies par les armes turques n’allait-il pas ébranler profondément l’autorité du Sultan, faire naître, parmi les populations non turques « l’espoir d’un prompt