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V

« Non, il n’y pas de question arménienne. Il y a une grande et redoutable question d’Orient, dont celle-là n’est qu’une des faces multiples ; et même, à vrai dire, il n’y a pas de question d’Orient séparée de l’ensemble complexe des difficultés qui pèsent sur l’Europe moderne, » Ainsi s’exprimait ici même, le 1er décembre 1895, M. Francis de Pressensé, et, en vérité, on ne saurait mieux dire. Diplomatiquement ou politiquement, ou encore historiquement parlant, la « question arménienne » est le nom que l’on donne à la crise de la question d’Orient qui, de 1895 à 1897, a troublé si gravement l’Europe. Les événemens d’Arménie sont d’ailleurs inséparables de ceux de Crète ; ils ne sauraient être étudiés isolément et, les uns comme les autres, ils doivent être envisagés en fonction de la politique générale de l’Europe, sous peine de rester inintelligibles. Depuis la guerre russo-turque et le Congrès de Berlin, la crise arménienne est la plus grave et la plus caractéristique qui ait mis en campagne la diplomatie ; sans en refaire ici l’histoire, nous voudrions montrer comment la question se posait et quelle a été, en face d’elle, l’attitude des grandes puissances.

La question arménienne est sortie de l’article 61 du traité de Berlin ainsi conçu :


La Sublime Porte s’engage à réaliser, sans plus de retard, les améliorations et les réformes qu’exigent les besoins locaux dans les provinces habitées par les Arméniens, et à garantir leur sécurité contre les Circassiens et les Kurdes. Elle donnera connaissance périodiquement des mesures prises à cet effet aux Puissances, qui en surveilleront l’application.


Dans presque toutes les grandes conventions orientales on retrouve un article de même nature que celui-ci ; il est, pour ainsi dire, de style. Mais de telles stipulations sont dépourvues de sanctions pratiques et restent subordonnées à la bonne volonté du Sultan dont l’Europe a de bonnes raisons pour respecter la souveraineté et l’indépendance. Ces clauses, si incertaine qu’en reste l’exécution, ont cependant favorisé l’émancipation des nationalités balkaniques, mais elles ont, d’autre part, poussé le gouvernement turc à un système de rigueur et de compression destiné à étouffer, avant qu’elles se produisent, les protestations