Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désavantages, ses litiges africains ou asiatiques avec l’Angleterre. Successivement, la question du Congo, celle du Siam, celle de la Côte occidentale d’Afrique, la re vision des traités tunisiens, loyalement abordées, sont résolues dans un esprit de concorde et de concessions réciproques. Cette politique, toujours calme, souvent heureuse, mais toujours discrète, n’est pas sans causer à l’Angleterre quelques embarras ou quelque alarme. Mieux peut-être que chez nous, la portée de la méthode de M. Hanotaux et des cabinets modérés est comprise en Angleterre : on en pressent l’aboutissement et l’on devine que, tous les litiges africains résolus, il en faudra venir, bon gré, mal gré, à aborder la question égyptienne[1]. C’est l’échéance que le cabinet britannique cherche, à tout prix, à reculer. Dès son retour aux affaires, à l’automne 1895, c’est la préoccupation dominante de lord Salisbury. Contre une alliance franco-russe, la manœuvra indiquée, classique, c’est de soulever la question qui a brouillé Napoléon et Alexandre Ier, la question d’Orient : là seulement les deux pays peuvent avoir certains intérêts divergens, certaines traditions opposées. En France, où tout un parti repousse la politique d’alliance russe, une campagne adroitement conduite dans la presse et dans l’opinion peut trouver des concours d’autant plus ardens que, chez nous, les sentimens d’humanité et de justice, lorsqu’ils sont mis en avant, ne restent jamais sans écho.

Nous avons vu comment l’Angleterre, depuis la convention de Chypre, tenait, pour ainsi dire, en réserve, la question arménienne et donnait asile aux comités arméniens. Aussi, dès que des troubles graves furent signalés en Arménie, sa main y fut-elle soupçonnée. Dès le 20 février 1894, M. Paul Cambon, dans une lettre au ministre des Affaires étrangères, M. Casimir-Perier, expliquait la genèse et le développement des troubles d’Arménie[2] envenimés par les maladroites rigueurs de la politique du Sultan ; dans l’été de 1894, éclataient des conflits très graves dans le Sassoun, entre Arméniens et Kurdes ; bientôt le mouvement « préparé, dit-on, de longue main par la société de Hentchak dont le siège est actuellement à Tiflis, après avoir été à Londres et à Athènes[3], » s’étendait au vilayet de Bittis et à

  1. Dans l’hiver 1895-1896, le ministère Brisson-Bourgeois-Berthelot lance en Afrique l’expédition Marchand.
  2. Livre Jaune, n° 6.
  3. M. Meyrier, vice-consul à Diarbékir, à M. Hanotaux, 5 octobre 1894. Livre Jaune, n° 10.