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par l’Angleterre, mais encore par la France et la Russie, pour imposer au Sultan des réformes. Elle ne cessa pas d’agir « comme un membre libre du concert européen ; » elle ne prit pour règle de sa conduite que son intérêt immédiat, et son attitude contribua dans une large mesure à encourager la Porte dans sa résistance aux conseils réitérés de la Russie et de la France. Le Sultan, entre la Russie et l’Autriche, dont il redoutait le voisinage et les armes, l’Angleterre, dont les intrigues en Arménie et les visées sur Constantinople l’alarmaient, la France souvent exigeante quand il s’agissait de ses protégés, le Sultan, délibérément, choisit l’Allemagne qui, en échange de son puissant appui diplomatique, ne lui demandait que des concessions de chemins de fer, des commandes pour son industrie, des facilités pour son commerce. Au moment où l’on se plaisait, dans certains milieux, à croire son influence annihilée pour longtemps à Constantinople, elle était en passe d’y devenir prépondérante.

Les événemens de Crète et de Grèce allaient, l’année suivante, porter à son apogée le crédit de l’Allemagne à Constantinople. Au moment où les soldats grecs du colonel Vassos débarquaient en Crète pour venir en aide aux insurgés, Guillaume II signifiait durement son mécontentement au roi Georges, son parent, proposait de bloquer sans délai le Pirée et d’exiger le rappel du colonel. Entre une politique si rigoureuse et les incartades par trop imprudentes de la Grèce, il y avait place pour une action pacificatrice du concert européen. Le cabinet de Londres, effrayé des conséquences de sa politique de l’année précédente et des progrès de l’influence allemande, revenait à des maximes plus prudentes. Quant à la France, elle était partagée entre ses sympathies traditionnelles pour les Grecs et sa résolution de rester fidèle à la politique d’intégrité ; dès le début de la crise, elle offrit aux Grecs l’autonomie de la Crète sous le gouvernement du prince Georges, mais sous la suzeraineté de la Porte. Enlever au Sultan tout droit de souveraineté sur la Crète, c’eût été la mettre à la merci de l’influence de la puissance prépondérante sur les mers et maîtresse de l’Egypte, comme l’avait prédit, en 1853, Nicolas Ier : ni la France ni la Russie n’y consentaient. « Il n’y a pas trois politiques en présence, écrivait à cette époque M. Francis Charmes, il n’y en a que deux : ou le concert européen avec les obligations qu’il entraîne, avec les lenteurs qu’il impose, avec