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de provoquer le sentiment que l’on cherche[1]. Pour contempler, le mystique devra donc choisir une image et la fixer, et s’y perdre en s’abandonnant sans mesure aux sentimens d’amour, de tendresse et de reconnaissance qu’il éprouve devant elle. Quelquefois, dans cette contemplation, il se donnera éperdument, jusqu’à perdre la notion de lui-même, et il aura l’illusion qu’il se confond avec son Dieu ; d’autres fois, il sera plus conscient et plus calme ; mais il n’en éprouvera pas moins la joie de ne plus s’appartenir, il aimera son Dieu de tout de son cœur, de toute son âme et de toute sa pensée. Quelle est la nature de son amour ?


La conception qui prévaut encore parmi les médecins et même parmi les psychologues, c’est que l’amour mystique, malgré l’ascétisme physique et moral qui le rend possible, malgré la méditation et la contemplation religieuses qui le créent, ne diffère pas, dans sa racine, de l’amour humain le plus sensuel. Sans doute l’objet est Dieu, mais ce n’est pas par son objet qu’un sentiment se distingue réellement d’un autre ; c’est par les émotions secondaires dont il se compose, par les organes qu’il affecte ; et, considéré sous cet aspect, l’amour de Dieu apparaît comme une transformation à peine déguisée de l’amour des créatures. Ce sont les mêmes expressions physiques ou verbales, les mêmes ardeurs et les mêmes satisfactions.

Les faits ne manquent pas, semble-t -il, pour appuyer la thèse ; ouvrez un mystique au hasard et voyez comme il parle : il s’exprime avec le langage de l’amour le plus passionné ; il fait les mêmes protestations qu’un amant, il a les mêmes souffrances et les mêmes joies. « Je vous envoie mon cœur pour le donner à notre tout amour, » écrit la mère Agnès de Langeac à M. Ollier, « dites hardiment à notre tout aimant que je l’aime ou que je meure[2]. » « mon vrai Dieu, l’époux de mon âme, et toute la joie de mon cœur, » s’écrie sainte Rose de Lima, « j’ai soif de vous aimer, ma joie et mon salut, comme vous vous aimez vous-même. Oh oui ! que je sois brûlée, détruite, consumée par votre divin amour, ô Jésus mon bien-aimé[3]. » — « Où vous êtes- vous caché, mon bien-aimé, » disait sainte Catherine de Sienne,

  1. Traité de l’Amour de Dieu, ch. III et V.
  2. Vie par M. de Lantages, édition revue par M. l’abbé Lucot, II, p. 137.
  3. Vie de sainte Rose de Lima, par le Pèec Léonard Hansen, p. 215.