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l’Amour de Dieu, parle un langage très coloré d’images amoureuses, et quand il veut dire les perfections de la Vierge, il le fait dans des termes qui semblent trahir un sentiment d’adoration sensuelle. Il célèbre « ce corps doux, humble, pur, obéissant au saint amour, et qui est tout embaumé de mille suavités sacrées[1]. » Marie Alacoque écrit dans le même style à propos de Jésus : « Il me fit comprendre, à la manière des amans les plus passionnés, qu’il me ferait goûter ce qu’il y avait de plus doux dans la suavité des caresses de son amour ; en effet, elles furent si excessives qu’elles me mettaient souvent tout hors de moi[2]. » Sainte Thérèse elle-même n’aurait pas été à l’abri des confusions de ce genre, si on en croit ses Mémoires, « A la vérité, » écrit-elle, « quand cet époux très riche veut enrichir et caresser les âmes davantage, il les unit tellement à lui, que, pareilles à des personnes que l’excès du plaisir et de la joie fait défaillir, elles croient être suspendues à ses divins bras, collées à son divin côté, appliquées à ses divines mamelles et ne savent plus que jouir[3]. » Tout le monde connaît l’épisode ce lèbre de la transverbération immortalisé par le Bernin, et ces ravissemens que sainte Thérèse éprouvait, dit-elle, au cours de certaines extases, à sentir son cœur transpercé par l’épée de feu d’un séraphin. Les termes dont elle se sert pourraient facilement s’appliquer à des sensations qui n’ont rien de céleste, et, à les prendre dans ce sens, on y trouve même une précision telle que la citation intégrale est impossible ici[4].

Enfin Mme Guyon, si froide envers son mari, paraît l’avoir été beaucoup moins dans ses effusions et ses extases mys- tiques ; son langage est souvent celui de l’amour, ses can- tiques sont pour la plupart des cantiques d’amour, et le rêve qu’elle raconte au deuxième livre de sa vie a prêté à bien des interprétations fâcheuses. « Le Maître me mena, » dit-elle, « dans un bois qui était de cèdres. Il y avait, dans ce bois, une chambre, et dans cette chambre, deux lits. Je lui demandai pour qui étaient ces deux lits ; il me répondit : Il y en a un pour ma Mère, et l’autre pour vous, mon Epouse[5]. » Bossuet, lorsqu’il

  1. Traité de l’Amour de Dieu, liv. III, ch. VIII, p. 183.
  2. Vie et Œuvres de la bienheureuse Marie Alacoque, t. II.
  3. Œuvres de sainte Thérèse. Des pensées sur l’amour de Dieu, ch. IV.
  4. Voyez Autobiographie, ch. XXIX.
  5. Autobiographie, II, ch. XVI, p. 178.