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absolue que ce sont de simples épreuves dont il sortira vainqueur.

Nous avons vu sainte Thérèse souffrir de cette paresse d’esprit qu’elle expliquait par les attaques du démon ; elle en souffrit pendant des mois et des années, jusqu’au jour où elle crut entendre la voix de Dieu lui dire : « Je ne vous abandonnerai jamais ; » mais alors elle considéra les attaques des mauvais esprits avec tant d’assurance que ses appréhensions s’évanouissaient.

Ainsi s’établit peu à peu dans l’esprit du mystique la stabilité, l’unité dont il a tant besoin. Sous l’influence de l’amour de Dieu, les inclinations basses s’atténuent ou disparaissent ; la certitude d’être protégé, sauvé pour l’éternité remplace les hésitations et les angoisses ; le mystique connaît dans la vie divine une tranquillité, une moralité que la terre lui refusait : il a la santé de l’âme, il a même celle du corps, et c’est bien parce qu’il a conscience de ces effets salutaires, que de tous ses vœux, de toutes ses forces, il souhaite et prépare par l’ascétisme le triomphe complet de l’amour de Dieu.

Qu’est-ce donc en définitive qu’aimer pour le mystique chrétien ?

C’est s’affranchir par l’amour de Dieu, qui ne se sépare pas de l’amour de la perfection, des oscillations douloureuses de la vie physique et morale, des contradictions angoissantes de l’âme et du corps. C’est se créer, au-dessus et en dehors de la terre, une forme très humaine de bonheur où l’âme puisse répéter à son Dieu les graves paroles d’Andromaque à Hector : « Tu es pour moi un père, une vénérable mère, un frère ; tu es aussi un époux brillant de jeunesse. » C’est coordonner autour d’un même objet, considéré comme sacré, les sentimens humains les plus forts ou les plus élevés, et trouver dans ce faisceau d’affections la satisfaction morale, l’équilibre et la paix.


GEORGES DUMAS.