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Les organismes économiques, dans lesquels les travailleurs manuels avaient pris conscience de leur existence et de leur force, ont été menacés par une triple campagne. A la suite de la fameuse grève des mécaniciens (1897-1889), les industriels accroissent les ressources du Syndicat jaune, la National Free Labour Association. Elle compte 80 000 adhérens ; envoie, dans les vingt-quatre heures, des ouvriers au patron dont les travailleurs sont en grève ; fournit un corps de police pour escorter les recrues. L’évolution de la jurisprudence constitue pour les Trade-Unions une menace plus redoutable. Le 22 juillet 1901, la Chambre des lords, tribunal suprême d’interprétation, admet dans le cas de rupture d’un contrat de travail sans avis préalable, la responsabilité des syndicats : jusqu’alors le droit prétorien ne reconnaissait pas aux associations professionnelles le caractère d’autorités juridiques. Le 19 décembre 1902, l’arrêt est confirmé par le Banc du Roi. Le juge Wills condamne comme illégales les patrouilles et alloue au patron des dommages-intérêts. A la suite d’une transaction, le chiffre est fixé à 575 000 francs. Les tribunaux locaux cèdent à cette évolution de la jurisprudence et se montrent d’une rigueur inattendue. Tel d’entre eux interdit aux syndicats de verser des secours aux grévistes. Tel autre leur refuse le droit d’organiser des défilés, musique en tête. Et, comme pour donner à cette lutte professionnelle et juridique contre les syndicats la sanction de l’opinion, voici que le Times, dans une enquête publiée de novembre 1901 à janvier 1902, reproche aux Trade-Unions d’être, par leur hostilité contre les progrès du machinisme et le travail à la tâche, les auteurs responsables de l’invasion allemande et américaine.

Le moment choisi pour attaquer les groupemens séculaires, qui constituent les cadres de la vie sociale des ouvriers anglais, était singulièrement inopportun. La guerre sud-africaine avait été suivie d’une des crises les plus violentes qu’ait connues le marché du travail. A partir de 1900, les salaires qui, depuis 1895, avaient grandi régulièrement, baissent constamment. En 1901, 910 399 ouvriers subissent sur leurs salaires hebdomadaires une réduction de 78 000 livres sterling. En 1902, 886 341 travailleurs doivent consentir une nouvelle diminution de 72 000 livres. En 1903, 892 923 salariés enregistrent un nouveau recul de 38 000 livres. En 1904, 795 087 ouvriers constatent dans leurs budgets hebdomadaires un déficit de 39 800 livres. Le pourcentage