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Il connaît les incertitudes et les chômages du manœuvre. Tour à tour employé dans une fabrique de plaques de métal, dans des usines à gaz où il charrie le coke, dans des chantiers de construction, où il sert de maçon, il va de ville en ville, souvent sans abri, souvent sans pain. A vingt ans, sa vie acquiert un peu de fixité. L’été, Will Thorne est occupé dans les briqueteries, l’hiver, il travaille dans les usines à gaz. Cette vie vagabonde, ces souffrances constantes donnent au jeune homme un peu du caractère rebelle, de la colère contenue du vagabond. Il parle : on l’écoute. Il dit sa colère. Des grèves éclatent. Will Thorne passe pour un agitateur dangereux. Les portes se ferment. Il est mis à l’index. Il quitte les Midlands et gagne Londres, avec deux francs cinquante dans sa poche (1883). Il s’installe à West Ham, dans le quartier le plus misérable de la Cité impériale, la ville des manœuvres, des déclassés, des sans-travail. « Des milliers de familles vivent entassées, dans une ou deux chambres, souvent sans vêtemens décens, sans nourriture suffisante. » Will Thorne est employé comme chauffeur dans les Beckton Gas works. La frugalité de leur camarade, sa haine de l’alcool, son silence réservé, ses éloquentes bouffées de colères, sa science de jeune marxiste produisent sur les ouvriers une profonde impression. A ceux qui l’ont connu à cette date, l’adhérent de la Social Democratic Federation apparut comme un étrange ascète aux yeux éclairés par un regard expressif, au visage brûlé par les flammes du foyer. Peu à peu son autorité, sur ces hommes qui, dans les fours à charbon des usines à gaz, travaillent douze heures par jour, grandit rapidement. Un dimanche après-midi, il les convoque à Canning-Town, dans un de ces terrains vagues, dont la verdure, piétinée par les gamins et souillée par les détritus, entoure d’un cercle ininterrompu les cités anglaises. Dans ce cadre, 800 chauffeurs acclament Will Thorne et décident de fonder un syndicat. En deux mois, ils étaient 10 000 ; la grève est décidée ; elle dure trois mois ; la journée de huit heures est accordée. Le secrétaire général organise l’association sur des bases nouvelles ; il réduit les fonds de secours ; il augmente la caisse de grève. Le syndicat devient, avant tout, une arme de combat. Malgré des défaites retentissantes infligées à l’Union par sir George Livesey, le directeur des South London Gasworks, la popularité de Will Thorne reste intacte. En 1899, il est nommé Deputy-Mayor du West-Ham Town Council. Sous son influence