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ces plantes, il fallait donc faire le contraire de ce qu’on faisait jusque-là : préserver les terres de l’inondation durant la crue et les arroser abondamment tant que le fleuve est à l’étiage. Ce n’est pas tout : ces terres, les meilleures dont il disposât, le cultivateur se contentait d’autant moins d’en retirer des cultures d’été là où il pouvait le faire, que ces cultures, très épuisantes, ne doivent intervenir qu’une année sur deux ou sur trois. La nécessité de profiter de l’hiver durant ces années intermédiaires, pour semer du fourrage ou des céréales, s’imposait donc à lui.

En tenant compte de toutes ces données, on procéda de la manière suivante. Le Delta était sillonné de canaux qui alimentaient les bassins. Ces canaux furent approfondis jusqu’à ce que leur plafond se trouvât entre un mètre et un mètre cinquante au-dessous des basses eaux ; ils reçurent des biefs, des vannes et autres appareils régulateurs appropriés à leur nouveau rôle qui était de distribuer l’eau toute l’année et, sur ce modèle, on en établit de nouveaux. On réalisa ainsi et seulement en Basse-Egypte, notons-le, une combinaison qui tient à la fois du système de l’inondation et de celui de l’irrigation permanente ou pérenne telle qu’elle fonctionne actuellement. Pendant la crue on inondait tout le Delta, sauf dans les endroits où le coton n’avait pas encore été enlevé (car Méhémet Ali avait surtout songé à cette culture) ; la crue passée, on curait les canaux qui devaient arroser les terres pendant l’étiage. Des machines élévatoires à bras ou à manège, plus rarement des pompes, permettaient d’utiliser l’eau amenée par les canaux à proximité des champs. Le tout, observe M. Linant de Bellefonds, un des ingénieurs qui ont le plus efficacement travaillé à l’œuvre des irrigations, « avec beaucoup de peine et de grandes dépenses. »

Le résultat ne répondit pas à l’effort. Les Orientaux sont généralement enclins à « faire grand, » et, plus que personne, le pacha était possédé de cette manie. Les canaux, établis avec des dimensions démesurées, s’engorgèrent d’autant plus facilement que leur courant, trop large et trop superficiel, était plus faible. Quinze mille corvéables durent chaque année travailler quatre mois à les curer. Au surplus, le plan ne péchait pas seulement par l’exécution, la conception même en était fausse. S’il est facile en effet de dériver l’eau du fleuve lorsqu’il coule à pleins bords, il devient très malaise de le faire la crue finie, alors que