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temps immémorial. Chacun y trouve son avantage. Les agens du ministère contrôlent bien plus facilement les engins d’une compagnie d’irrigation que ceux des petits cultivateurs, et ces derniers préfèrent traiter avec une entreprise privée intéressée à satisfaire et à ménager ses cliens, qu’avec une administration publique plus autoritaire et plus formaliste.

Les habiles techniciens qui dirigent ces riches sociétés sont plus à même que n’importe quel propriétaire d’appliquer à l’arrosage les récentes découvertes, par exemple les moteurs à pétrole qui leur permettraient de réaliser une sérieuse économie, car le charbon coûte cher en Égypte, ou l’électricité que fourniraient soit les canaux à pente rapide du Fayoum, soit, pour la Haute-Égypte, les chutes de la première cataracte, régularisée par le barrage d’Assouan.

Un tel arrangement marque peut-être le début d’une transformation du rôle respectif de l’État et de l’individu dans l’œuvre vitale de l’irrigation. Depuis que l’Égypte existe et jusqu’aux premières années du XIXe siècle, cette œuvre était, à peu de chose près, entièrement celle de l’Etat qui pourvoyait presque seul à la dérivation de l’eau, k sa restitution au fleuve et à l’inondation des terres. L’irrigation pérenne a contraint à l’initiative et à l’effort personnel le fellah, jusqu’alors tout passif, sous la dépendance complète de la volonté de ses administrateurs. Actuellement enfin, des personnes morales privées entreprennent de décharger le service des irrigations de quelques-unes de ses fonctions. N’est-il pas permis de prévoir mieux encore : l’institution de vastes associations syndicales qui exécuteraient, au profit de leurs membres, le travail poursuivi par les compagnies financières en question ? L’augmentation constante du nombre des petits et des moyens propriétaires ruraux, l’accroissement continuel de leur prospérité matérielle, les remarquables progrès intellectuels et moraux réalisés par eux, leur docilité, leur sociabilité, leur esprit de corps et de discipline que n’ont pas diminués les conditions nouvelles de leur existence, tout, sans parler des dispositions bienveillantes du gouvernement égyptien, permet de considérer comme réalisable l’organisation que nous souhaitons.


PIERRE ARMINJON et BERNARD MICHEL.