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pour la légèreté de main avec laquelle il excelle à tout effleurer. La question est grave et complexe, de savoir s’il est permis de prononcer le mot de décadence, et si ce mot a un sens, quand on l’applique à une littérature encore vivante. C’est se hâter un peu trop que de la supposer résolue et de l’écarter en quelques mots. De même, il est évident qu’il y aurait quelque sottise à reprocher aux modernes dramaturges de n’être pas des Racine et des Molière ; mais aussi ne le leur demande-t-on pas. Le culte organisé autour des maîtres du théâtre a une tout autre signification ; et ceux-là surtout seraient mal venus à la méconnaître qui ont conçu le projet d’exprimer par les moyens de la scène leur pensée et leur expérience de la vie. Si l’on revient sans cesse à l’étude de quelques chefs-d’œuvre consacrés, et si l’on s’ingénie à y découvrir toujours de nouvelles raisons de les admirer, c’est qu’on veut par là mesurer le haut degré de dignité où le théâtre a pu s’élever et où l’heureux accident du génie pourra donc toujours le replacer. C’est le meilleur argument à l’adresse de ceux qui tiennent le théâtre pour « un art inférieur ; » et ce culte en l’honneur des anciens est par conséquent un encouragement pour tous les nouveaux venus. Il leur prouve, comme on prouve le mouvement en marchant, qu’il n’y a presque pas une nuance du sentiment, ni un aspect de la vie, qui ne puissent être traduits par la forme du théâtre ; il leur épargne la seule « idée désolante » pour un artiste, celle qui consiste à douter de la valeur et de la portée de son art ; il entretient ainsi chez eux les plus belles ambitions.

Un autre grief des auteurs dramatiques est que nous les gênons, en distribuant les œuvres par catégories artificielles et séparées comme par des cloisons étanches. C’est la coutume en effet de railler la critique pour ses procédés de classification, pour son besoin d’introduire partout de l’ordre, et pour sa manie de régler la confusion. Elle s’évertue à établir des distinctions entre la tragédie, la comédie dramatique, la comédie de caractères, la comédie de mœurs, la pièce à thèse, la comédie anecdotique, la comédie légère et le vaudeville. Ce qu’elle ne peut accepter, c’est qu’une pièce soit une pièce, tout bonnement, et qui fasse rire ou pleurer, suivant que la situation comporte le rire ou les larmes. Ce qu’elle ne veut pas admettre c’est l’anarchie, qui pourtant seule est féconde. Ce qu’elle voit venir avec mauvaise humeur, ce sont les nouveautés qui dérangent sa routine... Mettre au compte de la critique les séparations qu’on observe entre les genres, c’est dire que le naturaliste crée au moment qu’il les décrit les caractères dont la nature a fait entre les diverses