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Mais en se continuant les genres se modifient. Et il le faut bien, puisque les meilleures pièces du répertoire moderne, — d’où dérive toute la production d’aujourd’hui, — nous paraissent, à chaque reprise, plus surannées, et ne passent qu’à la faveur du respect dont le public entoure les réputations. La comédie de l’époque second-Empire se développait lentement, déroulait à loisir ses intrigues parallèles et ne dédaignait pas le renfort des personnages épisodiques. Cette lenteur ne s’accorde plus à l’ordinaire allure d’une société où tout marche vite : il faut que chacun presse le pas. Nous nous souvenons encore de ce qu’on appelait naguère un causeur : c’était un homme qui s’accoudait à la cheminée et contait, en prenant des temps, des anecdotes où chaque effet était prévu et chaque intention soulignée. Alors on faisait cercle autour de lui ; aujourd’hui on se sauverait. De même, au théâtre, les auteurs ont dû précipiter le mouvement, au risque de se contenter parfois d’un art sommaire et de renoncer au meilleur de l’ouvrage. D’autre part, la littérature générale, en ces derniers temps, ayant bousculé beaucoup de convenances, la comédie s’est faite plus hardie dans ses peintures de mœurs, et plus libre dans le ton de ses conversations, en un mot, plus brutale. Cette accélération du mouvement et cette aggravation d’audace suturaient déjà à lui donner un air de nouveauté.

Mais nous assistons en outre à une transformation plus profonde, et dont on peut reporter l’origine à la lente influence du théâtre d’Henry Becque. elle consiste, non pas du tout à effacer les limites des genres, mais à les préciser et aies accentuer. Si la comédie dramatique a encore de beaux jours devant elle, et si, vraisemblablement, sa carrière n’est pas à la veille d’être terminée, peu à peu, cependant, elle tend à éliminer les élémens de comique qui y font disparate avec les élémens sérieux. « La réforme qui s’opère au théâtre depuis quelques années, remarquait justement Larroumet, et dont M. Hervieu est un des promoteurs les plus énergiques, tend à rétablir la séparation de la tragédie et de la comédie par cela seul que cette réforme est franchement réaliste. En effet, s’il est vrai de dire que la vie mêle le triste et le gai, il ne l’est pas moins de dire que nous les séparons. Toutes les fois que nous sommes en proie à un sentiment violent, qu’il soit triste ou gai, nous n’éprouvons que ce sentiment-là à l’exclusion de tout autre... De cette loi résulte la vérité de pièces comme les Tenailles, la Loi de l’homme, la Course du flambeau, qui sont de véritables tragédies en prose... Je prends l’œuvre de M. Hervieu comme l’exemple le plus topique de la réforme théâtrale qui se poursuit sous nos