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Peut-être voit-on maintenant en quoi consiste la querelle des auteurs et des critiques et qu’il y a un lien étroit entre les argumens qu’on invoque de chaque côté. Les auteurs dramatiques, — parmi lesquels nous faisons les exceptions et les distinctions qui conviennent, — sont naturellement disposés à ne tenir compte que des goûts du public et des indications de leur propre tempérament, et ce sont les nécessités mêmes de leur profession qui les invitent à n’estimer au théâtre que ce qui est « du théâtre. » La critique, au contraire, s’appuyant sur l’exemple des maîtres, soutient que les seules pièces qui comptent sont celles où les moyens du théâtre n’ont servi que comme de support à la psychologie, à l’observation, à la satire, à l’étude morale. Elle replace le genre dramatique au milieu des autres genres et soutient qu’il est, comme les autres, soumis à des lois, à des règles, ou à des exigences, qui sont supérieures au goût des écrivains et à celui même du public. Elle considère comme un mince succès celui qui n’est dû qu’à l’accord passager d’une œuvre avec les modes littéraires ou sociales. Elle ne fait crédit à l’illusion du théâtre, que si, par derrière elle, un peu de vérité doit se découvrir... Le malentendu est profond, ou plutôt l’opposition est irréductible et salutaire. L’homme de théâtre a dans la critique non pas une ennemie, mais une indispensable auxiliaire, puisqu’elle le pousse sans relâche à devenir un écrivain. Le théâtre peut à merveille exister en dehors de la littérature et passer à côté d’elle, et le plus souvent cela n’en vaut que mieux pour le succès ; mais la critique veut à toute force qu’ils se rencontrent. Et c’est donc surtout grâce au génie des auteurs, mais c’est un peu aussi grâce à la patiente, obscure et ingrate besogne de tout un peuple de critiques, que quelques chefs-d’œuvre de théâtre se trouvent être en même temps des chefs-d’œuvre littéraires.


RENE DOUMIC.