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affaire. Si nous ne savons pas ce qu’en pense M. Clemenceau, nous savons du moins ce qu’en a dit M. Briand. Fermer les églises, non, jamais ! Il a expliqué à un journaliste qu’il y avait deux élémens dans la constitution de l’Église catholique : les prêtres et les fidèles, et, oubliant que ce sont ceux-ci aussi bien que ceux-là qui doivent former des associations cultuelles : « Pourquoi voulez-vous, a-t-il demandé, que nous punissions les fidèles d’une faute commise par les prêtres ? Car il y aura délit, quand un prêtre, sans association cultuelle, exercera le culte dans une église quelconque. Nous connaissons le ministre du culte, nous ignorons les fidèles. » Singulière distinction ! Survivance partielle, si l’on veut, mais tenace de l’esprit concordataire ! Pourquoi le gouvernement, dans le système de la séparation, continue-t-il de connaître les prêtres quand il ignore les fidèles ? Connait-il seulement ceux-ci lorsqu’ils commettent un délit ? Mais les fidèles peuvent en commettre également, et si c’en est un de dire la messe, c’en est un autre d’y assister : c’est un cas de complicité. S’il y a délit, il y aura poursuite, au moins contre l’auteur principal. Nous serons curieux, pour la beauté du fait, comme dit Alceste, de voir un prêtre poursuivi pour avoir dit la messe dans une église ouverte ; et comme le cas se renouvellera tous les jours, pour tous les prêtres, dans toutes les églises, on voit on le gouvernement sera conduit par cette accumulation de récidives. M. Briand dira peut-être qu’il est sûr d’avoir des associations cultuelles ; si le clergé ne les connaît pas, le gouvernement, lui, les connaîtra ; elles opéreront in partibus infidelium, mais n’en protégeront pas moins de leur égide le clergé qui les ignorera. Tout cela est d’une subtilité bizarre : nous doutons que l’esprit français s’en accommode. Au surplus, est-ce vraiment un délit de dire ou d’entendre la messe dans une église sans association cultuelle, et, à supposer que c’en soit un, de quelle peine est-il frappé ? Nous avons cherché dans la loi de 1905, sans y rien trouver à l’appui des consultations juridiques de M. Briand. Tout au plus y aurait-il contravention relevant des tribunaux de simple police : et encore la loi ne le dit pas. Il est vrai que M. Combes, qui lui aussi fait des confidences aux journalistes, a déclaré que, si les lois pénales étaient insuffisantes, on en ferait d’autres. Eh bien ! qu’on les fasse. Cela prouvera une fois de plus que celle de 1905 a été mal faite et que, telle qu’elle est, on ne peut pas l’appliquer.

Que conclure ? Seulement ce que nous avons dit plus haut, qu’en dépit des apparences dont ils se couvrent, ni l’Église, ni l’État ne savent encore aujourd’hui quelles seront les suites de leur rupture.