Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des habitudes scolaires prises chez les grammairiens et surtout chez les rhéteurs. L’éducation avait alors, semble-t-il, plus d’action que chez nous, et cela pour deux motifs. D’abord, elle se concentrait plus exclusivement sur un seul objet, l’apprentissage du métier oratoire, au lieu de se disperser sur toutes sortes de matières : l’histoire et la philosophie n’y avaient qu’un rôle auxiliaire, et les sciences n’y tenaient presque aucune place. De plus, elle durait plus longtemps qu’aujourd’hui ; ce qu’il y avait d’essentiel en elle, l’exercice de la rhétorique, se prolongeait bien avant dans la vie de l’homme mûr : ainsi Tacite a déclamé jusqu’à trente ans, Juvénal jusqu’à quarante ; Pline le Jeune revenait sans cesse à ces exercices scolastiques. Ce pli ineffaçable se retrouve chez les écrivains gallo-romains. Tous les panégyristes, Eumène, Claudius Mamertin, Nazarius, Pacatus, sont des professeurs d’éloquence ; Ausone en est un aussi, et l’on s’en aperçoit trop à l’aspect didactique et pédantesque de maint de ses poèmes. Saint Hilaire, saint Paulin, Sulpice Sévère, ont commencé également par la rhétorique et en ont gardé l’empreinte jusque dans leurs traités de théologie ou leurs vers dévots ; Sidoine Apollinaire est un rhéteur, un bon rhéteur, convaincu, au milieu des conquérans barbares. La rhétorique est partout dans la littérature du IVe siècle et du Ve ; elle n’aurait sans doute pas existé sans le relèvement des écoles et le renouveau des études, auxquels Dioclétien, ses collaborateurs et ses successeurs se sont si passionnément attachés.

Ce qui, dans cette littérature, ne vient pas directement de l’éducation oratoire vient du christianisme : c’est lui qui, chez les Hilaire, les Paulin et les Sulpice, crée le fond d’idées et de sentimens auquel la rhétorique classique impose sa forme. Mais cette influence du christianisme, qui se combine avec celle de l’enseignement profane, ne s’est pas exercée et ne pouvait pas s’exercer, avant le commencement du ive siècle. Jusqu’à cette date, la religion nouvelle ne comptait guère en Gaule. L’Eglise de Lyon, grecque d’origine et de langage, grecque d’esprit aussi, et tournée tout entière vers les spéculations mystiques du monde oriental, n’avait pas d’attaches dans le reste du pays ; même le doux héroïsme de Pothin, de Blandine et de Ponticus, ne lui avait pas valu assez de prosélytes pour rompre son isolement. Ce n’est qu’à la fin du IIIe siècle que des missionnaires latins ont opéré cette évangélisation de la Gaule dont les