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terre, consumée, apparaît et supplie Jupiter ; la foudre tombe et le héros est précipité des cieux[1]. »

À cette somptueuse tradition, le siècle suivant ne « e montra pas infidèle. En 1702, l’auteur d’un Parallèle des Italiens et des Français en ce qui regarde la musique et les opéras, Raguenet, estime encore que « la grande supériorité de l’opéra français est dans les chœurs, les divertissemens, les danses, les habillemens, la perfection extérieure et la pompe du spectacle[2]. » Le grand Hameau lui-même ne songea point à réduire l’importance de l’appareil ou de l’apparat scénique. Mais il semble que Gluck y ait attaché moins de prix. Si pittoresque, si favorable à la mise en scène que puisse être, dans Orphée, le tableau de l’Enfer ou celui des Champs Elysées, s’il est vrai qu’Armide surtout soit le plus « opéra » des chefs-d’œuvre du maître, le simple et classique décor du temple ou du palais pourrait presque suffire à la représentation d’Alceste et de l’une et l’autre Iphigénie.

Le jour vint, ou plutôt il revint, où les spectateurs français réclamèrent davantage. Spontini les servit à souhait. Olympie « fut annoncée avec pompe et mise en scène avec l’appareil le plus brillant, le plus formidable que l’Académie eût encore déployé[3]. » Des chevaux y parurent et même des éléphans. Henri Heine, qui vit la chose à Berlin, a raillé, dans une de ses lettres de jeunesse, le luxe matériel de la mise en scène et de la musique elle-même. « Cela ne manquait ni de timbales ni de trompettes, et quelqu’un proposa, pour éprouver la solidité des murs du nouveau théâtre, d’y exécuter cet ouvrage. Un autre, au sortir de cette bruyante Olympie, entendit passer la retraite militaire et, reprenant haleine, s’écria : « Enfin, voici d’aimable musique. » Tout Berlin s’est moqué des innombrables trompettes et des éléphans qui figurent dans le spectacle. Les sourds étaient ravis de tant de splendeur, assurant qu’on pouvait toucher cette musique, la prendre à pleines mains. Et les fanatiques de hurler : « Hosannah ! Spontini lui-même est un éléphant musical. C’est l’ange de la trompette. »

Désormais, à l’Opéra de Paris, le spectacle ne fera que s’accroître et s’embellir. Nous ne pouvons plus guère imaginer

  1. Cité par M. Romain Rolland dans son Histoire de l’Opéra en Europe avant Lully et Scarlatti, Paris, E. Morin, 1895.
  2. M. Romain Rolland, id., ibid.
  3. Castil-Blaze, l’Académie impériale de musique, de 1645 à 1858.